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Portrait d’une douleur ineffable par Il Giardino Armonico et Bernarda Fink

Le programme présenté par l'ensemble et la mezzo-soprano est un florilège des pratiques musicales de la Semaine Sainte dans l'Italie des XVIIe et XVIIIe siècles.

Dans leurs œuvres liturgiques ou para-liturgiques, les compositeurs italiens choisissent souvent de nous faire voir la Passion du Christ à travers les yeux de sa Mère. Le choix n'est pas anodin car, dans la tradition chrétienne, elle est celle qui a le plus souffert de la Passion après Jésus. En son âme elle subit ce que son Fils souffre dans son corps. Elle doit affronter ce qu'il y a de pire pour une mère : la mort cruelle de son fils, sous ses yeux, dans l'injustice absolue. Comme servante de Dieu, elle souffre de voir son Sauveur se heurter à l'incompréhension et la haine des hommes. La musique choisie pour ce programme et l'interprétation qui en est donnée nous font comprendre un peu mieux le personnage de Marie.

Le programme s'ouvre sur Vivaldi et la Sonate « Al Sancto Sepolcro ». Le jeu expressif de l'ensemble, tout en contrastes, plante littéralement le décor. Il devient presque la Vierge Marie : les coups d'archets sont les battements de son cœur, les phrasés, sa respiration. La tension est plus que palpable, elle est visible. Les accents subis montrent bien qu'avec la mort de son divin fils, un glaive de douleur lui a transpercé l'âme. Les compositeurs baroques surent mieux que quiconque exprimer en musique l'extrême intensité de ces heures cruelles. Dans la musique au caractère affectif de Monteverdi ou Marini, la basse descendante, structure classique du Lamento, expriment la profonde désolation, le désarroi, l'abandon. Les récitatifs de Ferrandini, mis en valeur par la diction et la sensibilité de , montrent la rage et le déchirement intérieur. Les cadences majeures laissent entrevoir la force de la Sainte dans l'épreuve, et peut-être l'espérance de la Résurrection.

Parmi les pratiques musicales de l'époque, le travestissement spirituel était très usité : il Pianto della Madonna est en réalité tiré un air profane, il Lamento d'Arianna, sur lequel un texte à caractère sacré a été adapté. Ce choix donne au personnage de Marie une dimension particulièrement humaine : sa force et sa sainteté ne l'éloignent pas de sa condition de femme. Elle est la femme de toutes les douleurs, ce qui la rend plus proche de nous que jamais. Ayant tant souffert ici-bas, elle connaît toutes les épreuves et comprend toutes les misères humaines.

Les parties instrumentales sont magistrales. Comme si la douleur liée à la disparition de Dieu, qui est Verbe, ne devait plus s'exprimer verbalement. Le programme nous montre une autre facette de l'œuvre de Vivaldi, plus méditative, moins fulgurante et virtuose, mais plus tragique, avec des références explicites à la musique de Monteverdi, notamment dans le Concerto Madrigalesque. Le programme aborde aussi les rapports que les compositeurs italiens entretenaient avec le monde germanique. Les influences sont flagrantes puisque l'œuvre de Ferrandini a longtemps été attribuée à Haendel. De plus, tous les compositeurs présentés, à l'exception de Conti, ont des liens très forts avec Venise, et donc avec les cours allemandes. Quoiqu'il en soit, nous prouve que la musique peut aussi être un art visuel, tout en exprimant ce que ni les mots ni les images ne sauraient décrire.

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