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Khatchatourian surveille son œuvre

Continuant la tradition musicale russe du XIXe siècle, le compositeur arménien (1903-1978) s'est abondamment inspiré de la musique traditionnelle de son pays : son œuvre se distingue par son caractère lyrique, ses rythmes souvent inspirés de la danse et la saveur de son harmonie et de son orchestration. Ceci est d'autant plus évident à l'audition de ses trois ballets Le Bonheur (1939), Gayaneh (1942 ; 2nde version 1957) et Spartacus (1952-54).

Le ballet Gayaneh, contenant la célèbre Danse du Sabre, reprend une partie du matériel du ballet Le Bonheur. Largement imprégné de folklore arménien, Gayaneh offrit à Khatchatourian l'opportunité de le développer, l'enrichir, le métamorphoser et le transcender. Et l'on sait combien ce folklore est riche de rythmes frénétiques et de mélodies sensuelles. Le tempérament personnel de Khatchatourian y ajoute la vitalité frémissante, l'amour des inflexions caressantes et le coloris généreux qui caractérisent ses orchestrations. Bien des critiques musicaux qui ne savent évidemment pas en faire autant disent souvent que la musique de Khatchatourian n'est pas d'un goût très raffiné et que ce sont là des manifestations de marchands de tapis… mais il existe de très beaux tapis, et de toute façon, c'est de la musique vivante et savoureuse que l'on aurait tort de sous-estimer, surtout lorsqu'elle nous est proposée dans la version exhaustive qui nous concerne actuellement.

Il existe deux versions de ce ballet : la première date de 1942 et la seconde de 1957. Après bien des hésitations, c'est cette dernière version que Khatchatourian a cautionnée, et qui a servi de base à cet enregistrement intégral. Par rapport à la première version, la structure de l'argument a été modifiée et l'ordre des pièces changé en conséquence : de quatre actes en 1942, la version de 1957 n'en comporte plus que trois ; certaines pages ont été ajoutées, d'autres supprimées : si la structure du ballet en devient plus cohérente, on regrettera toutefois que certaines pages de la première version aient été élaguées dans la seconde, notamment la Danse des Vieillards et surtout le célèbre Adagio de Gayaneh, remarquable dans sa monodie nue et austère (et que le film 2001, l'Odyssée de l'Espace de Stanley Kubrick a popularisé). Il aurait été opportun et bienvenu de les placer en appendice.

Cet enregistrement, réalisé en 1978 et supervisé par Khatchatourian peu de temps avant sa mort, fait donc office de témoignage émouvant et de testament musical ; tel quel, il mérite donc le respect, d'autant plus que rien n'a été négligé dans sa réalisation technique et artistique : le superbe Grand Orchestre Symphonique de la Radio-Télévision de l'URSS apporte à cette œuvre une somptuosité magistralement ordonnée par la baguette incisive, précise et chaleureuse du chef géorgien Dzhansug Kakhidze, et la prise de son remarquable, exceptionnelle de clarté, a été respectée, et même transcendée, par ce transfert sur CD. Voici donc une réalisation superlative et définitive.

Une curiosité, qui n'enlève absolument rien aux qualités de l'enregistrement : pourquoi donc cette édition russe à 100% a-t-elle rebaptisé l'orchestre en « All-Union Radio and Television Bolshoi Symphony Orchestra », alors que l'Orchestre de la Radio-Télévision de l'URSS n'a en principe rien à voir – en tout cas à l'époque de l'enregistrement – avec l'Orchestre du Théâtre Bolshoï (ce que confirment d'ailleurs les éditions précédentes, microsillons inclus, de cette gravure) ? Il faut dire que depuis les tout-débuts du disque Melodiya nos amis russes nous ont habitués à diverses appellations pour une même phalange de leur pays …

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