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Le splendide théâtre de Bach

Le premier CD débute avec la cantate BWV 178. Un effet théâtral violent fait l'effet d'un soufflet. Réveillés et très attentifs les auditeurs découvrent des chanteurs et des musiciens qui se lancent après l'introduction orchestrale dans un superbe choral orné d'une incroyable virtuosité. Quel panache ! Puis le théâtre de la barque du Christ soumise à de terribles dangers permet à Bach une description d'une tempête violente dans l'air de basse. L'air du ténor est ensuite digne d'un air de colère de l'opéra, avec texte déclamé et vocalises sur un orchestre très énergique. C'est dans de telles œuvres, ouvertes sur le théâtre, que la conception de Gardiner est sans rivale possible. Il bénéficie d'un orchestre et d'un chœur de virtuoses à qui il peut tout demander et il ne s'en prive pas dans cette œuvre terriblement difficile. L'urgence du concert est perceptible de même que l'impact sur le public dont l'auditeur du CD fait partie. Les 3 chanteurs solistes, sans la lumière du soprano, sont parfaits de projection vocale et capables d'une très belle articulation comme de vocalises aisées dans des tempi pourtant périlleux. Avec la BWV 136 le cor apporte une agréable note festive. Le chœur d'introduction est dansant et d'une extraordinaire élégance. À nouveaux l'orchestre et le chœur sont somptueux et d'une rare ductilité. Cette œuvre courte comprend un air d'alto charmant accompagné du hautbois d'amour et un duo ténor-basse dansant qui aurait aussi tout à fait leur place à l'opéra, avant de s'achever sur un choral magnifiquement chanté par le . La dernière cantate du concert est en deux parties. À nouveau le théâtre est convoqué et la direction de Gardiner fait des merveilles. Le chic de l'air du ténor égale la virtuosité de l'air de basse et la délicatesse de l'air d'alto avec flûte, mais c'est le grandiose chœur d'entrée ouvrant un portail magnifique et richement orné, avec flûtes et hautbois, qui marque durablement. La légèreté et la précision du chœur est un régal de tous les instants. Phrasés et nuances sont subtilement négociés par un Gardiner très inspiré. Ces trois cantates vouées au théâtre se referment sur l'émouvant choral de la BWV 45. Rarement l'évidence de la démarche vivante et vigoureuse du pèlerinage Bach 2000 de Gardiner et sa magnifique équipe n'aura été aussi forte que dans ces œuvres qui appellent la scène et la rhétorique ici fusionnées avec humanité par Bach.

Le deuxième concert débute tout en douceur sur des Lamentations de Jérémie avec de grandes lignes planantes dominées par des sopranos angéliques. Les lignes se multiplient pour arriver à neuf voix. Il n'y a pas de résolution à ce long lamento qui se poursuit subtilement par les voix d'alto qui débutent une fugue. Certes les fugues sont nombreuses dans les cantates, messes et motets chez Bach. Celle-ci sans être la plus difficile est probablement la plus massive et dans cette interprétation prise sur le vif elle fait une énorme impression. Le ténor accompagné par des flûtes à bec se lance ensuite dans un long récitatif plaintif qui présente la faute de Jérusalem. Et c'est alors que la trompette et les cordes se lancent dans un air de fureur terrifiant. La basse en prédicateur annonce les effets dévastateurs de la nature en colère. Gotthold Schwarz, de sa belle voix de basse, se révèle aussi à l'aise dans les déclamations terribles que dans les vocalises de fureur. Ainsi interprété cet air dépasse de loin bien des airs d'opéras de Haendel lui-même. Le calme de la voix d'alto fait merveille dans un air rendu mœlleux par son orchestration de vents alliant flûtes à bec, basson et hautbois, le timbre prenant de fait ici merveille. Le choral soutenu par les flûtes à bec termine en paix, comme elle a débuté, cette cantate, parcourue par des moments absolument terribles.

La cantate 101 est beaucoup plus ample et sévère en son début avec un chœur monumental dans lequel le , très en forme, fait merveille. Tous les pupitres sont majestueux et impériaux des sopranos qui ont le choral aux autres voix qui tissent un commentaire qui est tout sauf accessoire. Une page majeure du Cantor immortel est offerte dans une interprétation certainement rendue superlative par l'engagement exigé en concert. L'orchestre avec une riche orchestration est un partenaire de choix avec des couleurs et une énergie magnifiques. Tous les numéros de cette cantate sont de la plus haute inspiration. L'air de ténor au violon accompagnato, le récitatif dramatique de la soprano, l'air de fureur de la basse avec trois hautbois et basson obligés, mais c'est peut-être le délicat duo soprano-alto qui émeut le plus par l'engagement des deux voix se mariant avec les superbes couleurs de l'orchestre. Cette cantate est un joyau transcendé par des interprètes tous proches d'un idéal de musicalité quasi surnaturel. La cantate 102 est également remarquable car pleine de beautés et d'audaces. Les interprètes restent des modèles de musicalité et d'intelligence avec un magistral, un orchestre virtuose et des chanteurs très engagés. Dans ces deux concerts domine une rhétorique puissante, s'appuyant sur la force théâtrale d'une musique qui bien souvent est digne de l'opéra. Voici l'un des plus beaux albums d'une série toujours passionnante car portée par la vérité du concert, ici jusqu'à l'incandescence.

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