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Fauré et Karine Deshayes, le goût secret des pleurs…

Alors que la jeune mezzo-soprano poursuit une brillante carrière sur scène, voici qu'elle nous livre un enregistrement pour le moins éloigné des feux de la rampe. Entièrement consacré à l'un des plus éminents représentants de la mélodie française, , son enregistrement se propose en outre d'explorer deux cycles moins connus du compositeur : Le Jardin Clos et La Chanson d'Ève, qui ont l'air de lui tenir à cœur. On aura quand même droit en manière de mise en bouche à quelques mélodies plus souvent entendues, telles Soir ou Les roses d'Ispahan.

Ce qui frappe tout de suite, c'est le timbre très clair et l'expression raffinée de cette interprète. Le débit est fluide, la diction parfaite – bien que parfois malmenée dans les pics expressifs ; qui dit mieux ? Du point de vue de l'accompagnement, se montre plus qu'attentive vis-à-vis de sa partenaire : elle lui étale un véritable tapis sonore, dont le mœlleux fait envie et sur lequel la voix de n'a plus qu'à se poser. Quant à l'apparition furtive de dans Pleurs d'or, elle fait quelque peu sourire, malgré nous (et malgré lui, sans doute) ; le baryton et la mezzo-soprano mettent une telle retenue dans leur chant qu'on a l'impression qu'ils font davantage attention à ne pas se marcher sur les pieds qu'à faire sortir leurs beaux timbres respectifs, tout confortablement installés sur le susdit tapis qu'ils soient.

Le Jardin Clos et La Chanson d'Ève sont des cycles tout à fait particuliers. Instantanées, d'une économie musicale rare, chacune de ces mélodies épouse le poème de manière quasi servile, sans place donc pour des introductions, des interludes ou des conclusions instrumentales… Lorsque la voix se tait, tout sombre dans le silence. Au milieu de quelques perles, dont « La messagère », « Inscription sur le sable » ou « Crépuscule », on remarque surtout « Paradis », une exception notable dans le tableau que nous venons de dresser. Cette mélodie est en effet certainement l'une des plus longues de Fauré : étale tout en frisant l'ascèse, les musiciens ne s'y croisent guère, chacun se voyant confiés de larges plages solistes. Cela n'est certes pas de leur faute, mais l'on aurait aimé un peu plus d'intensité expressive, notamment à la fin, pour justifier un tel déploiement dans le temps.

En somme, le tout laisse une impression semblable à celle d'un tableau préraphaélite : somptueux, fascinant, en même temps que pris dans un écrin de pudeur glacée. Si l'on y prête attention, on trouvera sans doute les poésies quelque peu ampoulées. Leur mise en musique témoigne cela dit de tant de goût, et sont servies avec tant de raffinement et de gourmandise par les interprètes, qu'une fois l'enregistrement fini, on veut bien encore un peu entendre parler de « roses » et de « sentiers d'argent »…

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