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Le sens de l’équilibre

Festival d'Ambronay

Invité régulier du festival d'Ambronay, y a endossé bon nombre de casquettes, claveciniste à la tour Dauphine (Rameau, Couperin, Scarlatti… ), directeur musical de l'Académie baroque européenne (par trois fois) et bien entendu chef-d'orchestre à la tête de ses Talens Lyriques. C'est avec un programme Haydn-Mozart qu'il honorait de sa présence cette édition anniversaire quelques semaines seulement après l'avoir étrenné à Eisenstadt (Autriche, Château Esterhazy), au festival consacré au père du classicisme. Apportant leur voix au grand concert du bicentenaire de sa mort, Rousset et son orchestre offraient – en juin dernier- aux parisiens des Saisons hautement plaisantes, malgré les quelques réserves relevées ça et là par les confrères (concernant les chanteurs notamment).

Aussi accueillait-on avec confiance le programme pertinent mitonné par le chef français, où il était question de Paris -avec deux symphonies- mais aussi d'héritage et de filiation! Qu'il dialogue avec le passé (Concerto pour clavecin en sol majeur n°5), s'inscrit dans le droit fil de la déclamation tragique alla Gluck (Scena di Berenice), annonce l'avenir tout en étant dans la splendeur du Temps (Symphonie la Poule), Haydn demeure pour reprendre les termes de lui même -au delà de ses expérimentations, sinon innovations- l'inspirateur de Mozart et de Beethoven (lire l'éloquent entretien accordé le 29/O5 à Mehdi Mahdavi pour Altamusica). Mais aussi un musicien peut être secrètement incompris, souffrant d'une image de «bon papa» que l'on révère sans aimer vraiment.

Nouveau Woodstock de la musique ancienne, Ambronay ne pouvait faire l'économie d'un hommage à Haydn. Ainsi Marc Minkowski ouvrait-il la voie le 24 septembre, en compagnie des Musiciens du Louvre, avec trois des plus belles symphonies parisiennes la 82 (l'Ours), la 85 (la reine de France) et la 88. Un Haydn cursif, imaginatif, véloce -tout en rebonds et surprises- à la manière du chef français, dont les incursions dans le répertoire classique (ses symphonies de Mozart chez Archiv Produktion. La Jupiter!) n'ont pas toujours fait l'unanimité.

Le Haydn de Rousset suit d'autres sentiers interprétatifs, même si le souci d'allègement de la pâte sonore y est également manifeste : plus souple que Dorati, plus dense et habité que Pinnock, moins vif argent et facétieux que Minkowski, sans les interrogations et maniérismes d'Harnoncourt, le chef se montre avant tout soucieux d'équilibre entre les différentes composantes de cette musique «agréable à jouer, pleine d'esprit, de joies et de trouvailles». Ce Haydn de la juste mesure ne manque pas de poids ni d'intelligence, d'autant que sont en garnde forme (Remarquable symphonie la Poule) seulement un peu d'esprit et de légèreté, comme si Rousset avait peur de ne réduire à Haydn qu'à cela…

A sa décharge, l'acoustique de l'abbatiale si exceptionnelle pour les voix est véritablement problématique pour les ensembles orchestraux : les basses y semblent surdimensionnées, et écrasent les violons qui n'ont pas le mœlleux, et l'alacrité souhaitées. Le rendu sonore compact empêche aussi de bien distinguer chaque pupitre ; ce qui est embêtant pour Haydn ou les bois ont toujours de ravissantes notes à faire entendre. Ainsi, le Concerto pour clavecin ne fut pas au plan sonore une réussite, le jeu subtil et sensible de Rousset, nuancé, ne trouvant qu'une réponse disproportionnée à l'orchestre.

On était ravi d'entendre la Scène de Bérénice, dont Cecilia Bartoli a donné une version de référence et Joyce Di Donato, avec Roger Norrington, se fit l'été dernier au Proms la somptueuse porte-parole. En choisissant , Rousset a prouvé qu'il avait du nez en la matière (mais on le savait déjà). La jeune soprano, Mélusine à la somptueuse chevelure, à livré une remarquable prestation, à l'intensité dramatique réelle. Le timbre est beau, chaud, manquant encore un peu d'étoffe dans le médium ; les aigus sont impérieux. On flaire un vrai talent qui n'est pas encore tout à fait sorti de sa chrysalide. En l'état, en tout cas, une Berenice captivante!

Plaisant intermède Mozart avec le Concerto pour cor n°2, ou l'exagérément doué (comment peut-il jouer aussi bien de la trompette et du cor, être aussi à l'aise dans Mozart et Berio?), bien accompagné par Rousset, a montré toute l'étendue de son talent. Grâce à sa maitrise du jeu bouché, le lyonnais a su faire chanter son instrument, et nous d'oublier -à l'instar de Mozart- qu'il est avant tout le héraut de la chasse plus que du lyrisme.

Crédit photographique : © Eric Larrayadieu

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