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Fête de la Musique à Plombières-les-Bains

Le projet, initié début 2007 par le Centre Français de Promotion Lyrique, paraissait un peu fou : réunir les moyens et les compétences de seize maisons d'opéra françaises (plus le Festival hongrois de Szeged) et sélectionner deux équipes de quatorze jeunes solistes pour monter le Voyage à Reims de Rossini et organiser durant les saisons 2008-2009 et 2009-2010 une tournée dans toute la France, en commençant évidemment par la ville de Reims.

En effet, pour cette œuvre de circonstance composée en 1825 pour les festivités du sacre de Charles X, Rossini a composé une partition hérissée de difficultés et destinée à une pléthore de solistes de premier plan. Il fallait, de plus, affronter le souvenir mythique des représentations de Pesaro en 1984, où Claudio Abbado à la tête de la fine fleur du chant rossinien de la grande époque faisait redécouvrir cette œuvre oubliée depuis un siècle et demi et reconstituée par la musicologue . Le pari n'était donc pas gagné d'avance. Il a été tenu et haut la main, ainsi que l'avaient déjà noté nos chroniqueurs lors des représentations précédentes à Avignon, Tours et Metz.

L'improbable livret de Luigi Balocchi n'est qu'un prétexte à faire se croiser des tessitures vocales (airs, duos, trios, ensembles dont un monumental pezzo concertante à quatorze voix !), tout juste un argument sans développement ni véritable évolution dramatique. Pendant près de trois heures, les «éminentes» personnalités venues de toute l'Europe et réunies au très chic Hôtel du Lys d'Or à Plombières attendent en vain le moyen de partir à Reims pour assister au fameux sacre et ils se résoudront finalement à faire le fête entre eux dans les Vosges. Le metteur en scène y joue à fond la carte du burlesque façon Helzzapoppin avec finesse et goût, sans excès ni vulgarité. L'élégant décor de Guia Buzzi restitue de manière convaincante l'atmosphère d'un luxueux hôtel de cure du début du XXème siècle et se révèle très efficace avec son plateau tournant pour varier les entrées et assurer la fluidité des changements de tableaux. La direction d'acteurs, parfaitement intégrée par tous les chanteurs, fourmille d'idées et on rit de bon cœur quand le rigide Lord Sydney se fait assaillir par une armée de sportives nymphomanes ou que Belfiore se substitue à la masseuse de Corinna pour approcher sa belle, ainsi qu'aux pitreries des deux majordomes. Tout juste pourra-t-on regretter que cette mise en scène ne soit qu'une juxtaposition de scènes, certes fort réussies, mais sans que ne soit pleinement parvenu à en assurer le liant.

Les deux distributions étaient proposées en alternance à Nancy, offrant l'opportunité de se livrer au petit jeu des comparaisons. La première, entendue le 4 octobre et à dominante russe, nous est apparue d'un niveau supérieur en termes de qualité vocale, de style et de puissance à la seconde du 6 octobre, à teinte nettement sud-coréenne, moins aguerrie et plus hétérogène. Globalement, on est ravi du niveau et de la formation de ces jeunes chanteurs, dont le bagage technique et l'investissement dramatique leur permettent le plus souvent d'affronter crânement et de dominer les difficultés de la partition. Regrettant de ne pouvoir citer chacun, on retiendra plus particulièrement la voix corsée et sonore de en Madame Cortese, l'abattage et la virtuosité de la Comtesse de Folleville de , l'élégiaque et exquise Corinna de . Le Libenskof de séduit par ses demi-teintes et l'aisance de la vocalisation, tandis que la Melibea de Kleopatra Nasiou-Papatheologou impressionne par sa puissance, non dénuée d'agilité, et ses résonances dignes d'un tuyau d'orgue, à la Valentini-Terrani. Un peu plus effacé, Marco di Sapia en Don Profondo cisèle pourtant avec brio son grand air «Medaglie incomparabili» et la basse en Lord Sydney montre un matériau vocal de la plus belle eau, riche de promesses. Dotés tous deux d'un fort tempérament, en Belfiore et en Don Alvaro retiennent également l'attention par leur jeu et leur chant, le second, bien que baryton, se permettant même des suraigus à faire pâlir un ténor.

La direction de frappe par sa délicatesse et sa subtilité. Apportant un soutien presque paternaliste et de chaque instant à ses jeunes solistes, il possède la science du flux et du reflux de la masse orchestrale qui sied si bien à la musique de Rossini, assure avec fermeté la tenue des complexes ensembles mais sait se faire tendre ou retenu aux moments opportuns, comme ce magique septuor de la première partie, pris en mezza voce dans un tempo ralenti. Ici, Rossini n'est jamais le «Signore vacarmi» que dénonçaient certains de ses contemporains ; rien n'est asséné ou pesant. De plus, le chef italien obtient de l' et du Chœur de l'Opéra de Lorraine, une légèreté de texture et d'articulation, avec néanmoins une rondeur du son, magnifique.

Une mise en scène alerte et de bon goût, un orchestre sous le charme d'une direction vive et sans lourdeur, une joyeuse équipe de jeunes chanteurs doués, tous également impliqués dans le projet commun et soucieux de donner leur maximum, tels sont les ingrédients finalement tout simples de la réussite de ce spectacle. S'il passe près de chez vous, courrez-y ! Ce voyage immobile à Plombières-les-Bains est une véritable cure… de jouvence.

Crédit photographique : (Corinna – représentation du 6 octobre) ; Photo d'ensemble (représentation du 4 octobre) © Ville de Nancy

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