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La momie Aida à Québec

Il est toujours risqué de monter un opéra tel qu'Aida de Verdi.

Opéra pharaonique pour les uns, avec scène du triomphe obligé et grand défilé qui n'évite que rarement de tomber dans le kitch ; scénario intimiste pour les autres, avec l'éternel triangle amoureux – deux femmes éprises du même homme. La mise en scène n'échappe pas à cette quadrature du cercle – cadre grandiose sur un sujet égyptien, destin individuel avec la psychologie superficielle des protagonistes. Comment faire vivre Aida sous les colonnes du Temple ? Faut-il draper les personnages de toges antiques de pacotille ? Seule la musique de Verdi comble bien des lacunes. La mise en scène de , manque nettement d'originalité. Il lui manque les moyens pour en faire l'œuvre spectaculaire qu'il aurait voulu. Déplorons que la direction d'acteurs soit souvent absente. Mais le spectacle est visuellement réussi et fonctionne bien. La chorégraphie de fait ce qu'elle peut avec ce qu'elle a, – les danseurs rappellent vaguement les tourneurs derviches – il est vrai, le tout illuminé par les éclairages souvent judicieux de . Les décors et costumes puisent dans le souk oriental pour le meilleur et souvent pour le pire. Tout pourrait sombrer dans le péplum. Pourtant, les décors sur fond de toile, statues, reliefs, rappellent les frises antiques au bord du Nil.

Mais sous le pagne égyptien, la difficulté première est celle qui exige des qualités vocales de premier plan et une caractérisation hors du commun. Nous sommes assez mal servis de ce côté. Pourtant, l'interprétation du rôle-titre par la soprano a fait l'unanimité : une technique vocale impressionnante quoique perfectible. La voix est à la fois profonde et touchante, à l'instar du caractère de l'héroïne de Verdi. Un rôle taillé à sa mesure… dans quelques années. Présence captivante dès son entrée sur scène, elle relève le défi par une voix ample, douce, caressante mais aussi puissante. Voix souple, lyrique, elle évite avec brio les écueils de l‘air du Nil plus qu'elle ne les affronte. La voix bouge quelque peu, connaît quelques problèmes de justesse et d'émission avec des aigus difficiles. Nous avions été impressionnés par sa performance lors du concours Operalia tenu à Québec en 2008. Elle n'a pas déçu l'auditoire. Nous avons plus de réticence avec la mezzo-soprano Alina Gurina en Amnéris. Elle semble chercher ses marques dans les deux premiers actes et éprouve un manque flagrant de projection dans le médium. La voix se fait couvrir par l'orchestre. Mais aux troisième et quatrième actes, il est difficile de résister aux tourments de la princesse égyptienne, à la véhémence d'un tel personnage métamorphosé en vraie tragédienne et si impliqué scéniquement.

La plus grande déception vient du ténor Oleg Kulko. Timbre ingrat, il lui manque la couleur vocale, solaire, qu'exige un tel rôle. «Celeste Aida» tombe à plat, sous les combes, par manque de souffle, de soutien, écimant ou écumant les aigus. Bien pis, le personnage n'existe pas un seul instant. Comment peut-on croire à ce héros, amant tiède, vacillant entre deux princesses, enfin le vainqueur des Éthiopiens ? Il faudrait une caractérisation plus marquée pour nous faire croire à ce qu'il est censé être. Cela se répercute jusqu'au duo final. Dans cette apothéose de la résignation de la mort, la part la plus belle revient encore une fois à Aida qui pâtit d'un tel partenaire.

La basse incarne un roi d'Égypte, hiératique, tout d'un bloc avec une voix qui manque de finesse. C'est une sorte de record Guinness de jouer sur scène à 81 ans. Si la voix a perdu de son lustre, elle demeure encore robuste ; la démarche n'en demeure pas moins chancelante, comme celle d'un vieillard qui marche sans canne. Le baryton dans le rôle d'Amonasro, – le méchant sauvage des contrées éthiopiennes, revêtu de haillons – est impressionnant. Belle présence sur scène, excellent comédien, il s'impose de belle manière entre sa fille Aida et Radamès.

Le reste de la distribution est correcte sans plus. Mention honorable pour le Messager épisodique de Philippe Gendron, la Prêtresse de Stéphanie Lavoie. Le Ramfis de la basse Alexander Savtchenko déçoit. Un rôle beaucoup trop lourd pour ses moyens. Le chœur de l'Opéra de Québec, toujours très investi, n'a pas manqué son effet. Excellent travail du chef de chœur Réal Toupin. À l'orchestre, on peut regretter les dérapages des trompettes, dès l'ouverture et aussi sur scène, à la fin du deuxième acte. Cela est peut-être dû au stress de la première. Malgré ses anicroches, la direction énergique de , à la tête de l', restitue l'œuvre dans toute sa puissance évocatrice.

L'Opéra de Québec a secoué la momie Aida sans lui rendre vie. Il reste la musique de Verdi qui comble toutes les lacunes.

Crédit photographique : (Aida) © Opéra de Québec

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