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La Flûte enchantée, un conte jouissif

Ce qui fait le succès d'un spectacle d'opéra, c'est la fusion de ses différentes composantes. Le singspiel a ceci de particulier. C'est la réunion et la confrontation des genres. Et cela apparaît encore plus évident quand il s'agit de La Flûte enchantée.

Opéra populaire au sens noble du terme, ses bases reposent sur un idéal, la philosophie de la fraternité humaine, voire l'adhésion à la franc-maçonnerie de ses auteurs. Airs chantés et scènes parlées s'équilibrent. Pourtant, il n'est pas toujours facile de doser ces éléments disparates. Et cela se double d'une autre exigence : créer un monde enchanteur, onirique, près du conte, ayant comme sujet, la haine, la vengeance, l'amour et le dépassement de soi. Le metteur en scène a réussi ce tour de force. Il fait rire le public tout en éclairant la démarche initiatique de Tamino dans sa quête de vérité.

En adéquation avec la scénographie, , le concepteur des costumes et des décors, nous replonge dans le conte populaire, – le dragon qui crache la fumée, les animaux qui dansent, une licorne qui se gambade sur scène – nous entraîne dans l'antre lunaire, sombre, – le rocher qui se fend pour voir apparaître la Reine la nuit – et la vue solaire sur le temple de Sarastro. Le tout, dans les éclairages bleutés, souvent chatoyants d'Anne-Catherine Simard-Deraspe qui culminent à la lumière vive de l'esprit. C'est une approche toute en reliefs, du haut des airs, cartographiée et colorée mais qui n'exclut en rien la profondeur du propos, ni la pensée humaniste. Et cela semble s'accorder à la conception aérienne du chef d'orchestre. Il n'appuie pas. C'est en nacelle, à l'instar des Trois Garçons, qu' survole la topographie de l'œuvre, évitant les aspérités trop crues, toujours porté par une brise bienveillante sous un ciel radieux. Nous défions quiconque de bouder son plaisir devant un tel spectacle. Aucun accident de parcours à signaler et qui viendrait perturber cette marche vers la lumière.

Le baryton vole la vedette. Une bonne hygiène vocale, et à l'aise en diable avec son personnage. On le suit partout non seulement dans ses pitreries mais aussi dans ses états d'âme. Attachant par sa simplicité, il passe par toute une gamme d'émotions, de la grande naïveté à l'insouciance, de la peur de s'engager aux côtés de Tamino à la détermination de conquérir Papagena. Rien de superflu, rien de feint. Son parcours est parfait et sa dextérité – il faut le voir jouer et mimer sur scène – est drôle et cadre bien avec le personnage. Sa compagne n'est pas en reste. En bonne comédienne, la soprano lui donne la réplique dans un jeu de miroir, tout aussi enlevant. Bref, nul ne doute qu'ils sont faits l'un pour l'autre.

La soprano est excellente en Pamina, un rôle taillé à sa mesure. Personnage noble, jeune femme tourmentée par sa mère, amoureuse se croyant abandonnée par Tamino, elle incarne son personnage à la perfection et interprète de façon magistrale, un «Ach, ich fühl's» anthologique. en Tamino déçoit quelque peu. Il investit son personnage plus par le geste que par la voix. Plus attrayant à voir qu'à entendre, la voix a quelque peu perdu de sa fraîcheur et souffre dans les aigus.

Nous attendions tous au deuxième acte, le fameux air de La Reine de la nuit d'. Elle n'a certainement pas déçu ses admirateurs. Mais, si la voix est toujours aussi somptueuse, – elle déploie une rare richesse vocale, – elle manque cruellement de véhémence. Il lui faudrait cette hystérie vocale, ce mordant qui donne le frisson. Sans doute, trop absorbée par son chant, le geste de commander le meurtre à sa fille, passe complètement inaperçu.

La voix de basse noble de compose un Sarastro de haute tenue. Retenons le jeu du ténor en Monostatos, voix nasale qui convient parfaitement à un tel personnage. Enfin, tous les autres chanteurs conviennent idéalement. Les Trois Dames de la nuit, interprétées par , Chantale Nurse et ont les voix et les gestes qui s'ajustent en parfaite harmonie. Il en est de même pour les trois enfants ou les Trois Esprits chantés ici par des femmes. Enfin, signalons l'excellent baryton-basse en Officiant. À la tête de l', propose une direction vive, topographique de l'ultime chef-d'œuvre de Mozart.

Crédit photographique : (Papagena) & (Papageno) ; Karina Gauvain (Pamina), (Sarastro) & (Tamino) © Yves Renaud

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