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La création du Grand Siècle, bien sûr !

Que l'on ait décidé de monter, pour la première fois depuis plus de deux siècles (1771) Amadis créé en 1684, tenait déjà de l'événement ! Mais que la création ait lieu en province, le public avignonnais l'a vécu comme un miracle !

Monter cet opéra du Grand Siècle était en effet un beau pari, parfaitement réussi. Amadis est à la fois extraordinaire et exceptionnel ; c'est toute la fin du XVIIe siècle qu'il a fait revivre : le progressif déclin du Roi-Soleil malgré sa volonté hégémonique toujours active, ainsi que la terrible révocation de l'Edit de Nantes et le mariage morganatique avec Mme de Maintenon ; les opéras-ballets issus de la fructueuse collaboration de et de Philippe Quinault. On découvre ainsi en Henri IV puis en son petit-fils Louis XIV de grands lecteurs de sagas héroïques ; et c'est à Lully que les femmes doivent de danser enfin sur scène – à l'époque où Louis XIV, tout en ne dansant plus lui-même, était toujours très amateur de chorégraphies – ; à Lully aussi la fluidité des grands airs d'opéras, les ariosi, annonciateurs des aria et habilement liés aux récitatifs.

Quant à l'argument, cet opéra de Lully chante, à la façon d'une épopée désormais éloignée de la mythologie antique, la lutte puis la victoire des Chevaliers de l'Amour, dont Amadis le premier, fils du roi Périon de Gaule, contre le chaos du passé et les forces obscures des éléments. Il s'inspire d'un roman-fleuve Amadis de Gaule, lui-même venu d'un roman médiéval portugais en passant par une œuvre espagnole : sans doute le roman le plus lu de la Renaissance ! Même Ignace de Loyola et Thérèse d'Avila s'en délectaient. Le sujet, il est vrai, tient de la plus pure féerie, avec génies du bien et magiciens du mal, et des péripéties invraisemblables. Mais, dans ce conte de fée vont germer de géniales intuitions que la création lyrique ultérieure exploitera fort opportunément.

Pour qualifier cette production, on ne sait quel adjectif choisir, tant ils sont tous à la fois justes et insuffisants : élégante, fraîche, fine, délicate, aérienne, vaporeuse, exquise, raffinée, délicieuse… Amadis a fait l'unanimité !

Le décor se fait oublier – c'est le meilleur compliment, pour l'écrin d'un bijou -, la projection vidéo confère une sorte d'irréalité de belle facture, les costumes jouent d'une intemporalité exquise, et les lumières de Philippe Grosperrin (comme dans Fidelio), savent sublimer chaque tableau. Les voix sont toutes d'une rare beauté, avec une petite réserve pour Katia Velletaz, qui n'a pas toujours été à la hauteur du rôle et du reste de la production.

La chorégraphe Françoise Denieau, après un parcours passant par l'Opéra de Paris puis la danse contemporaine, se consacre désormais à la danse baroque : très codifiée, dans une approche corporelle qui privilégie le symbolisme horizontal et vertical, la danse de Louis XIV demande un apprentissage qui n'est pas seulement technique, mais qui intègre une perception particulière du monde et de soi : les danseurs du Ballet de l'Opéra d'Avignon ont été pris en main par la chorégraphe, qui leur a transmis vocabulaire, sens puis gestuelle : aucun faux pas, le résultat est tout est en élégance et en distinction majestueuse !

, directeur musical des Pages et Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles – structure créée en 1987 et copie du Chœur de la Chapelle Royale de Louis XIV -, dirige d'une baguette légère le jeune Orchestre des musiques anciennes et à venir, orchestre régional (Aix-en-Provence) atypique ouvert à tous les répertoires. Même les sur-titrages se sont mis au diapason, en n'accusant qu'une dizaine de fautes – on a connu tellement pire ! –

Résumons-nous : il ne faut pas courir voir Amadis, il faut s'y précipiter, toutes affaires cessantes. Car cet hymne à l'amour est d'une fulgurante beauté, d'une exquise modernité ; La Fontaine le disait déjà, à propos d'Amadis justement : On aime encor comme on aimait jadis.

Crédit photographique : © Cédric Delestrade/ACM-Studio

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