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Béjart ! Un bel hommage

Cette saison est décidément vouée aux hommages : après celui qui était rendu aux Ballets russes, voici venu le tour de . Le regard rétrospectif a du moins pour mérite de mettre en perspective les productions contemporaines et celles de chorégraphes antérieurs : certaines recherches actuelles font alors apparaître des filiations.

Les trois œuvres présentées ont en commun de porter sans aucun doute la «patte» de leur créateur : elles dégagent toutes une formidable énergie communicative ; cette vitalité est ressentie grâce à la précision des ensembles, à la rapidité des gestes et à l'ouverture corporelle des danseurs. La chorégraphie est réglée sans paraître forcée, et les danseurs s'y sentent à l'aise ; bref, l'impression d'ensemble qui en reste est celle de la vie qui bouillonne.

Le Marteau sans maître est une œuvre toute en contradictions, à la fois sèche et organisée, âpre dans ses tournures mélodiques et pourtant somptueuse par la rutilance de ses timbres. Le poème de René Char, souvent incompréhensible, y ajoute un grain de mystère. Béjart a vu dans ces sonorités un rappel de celles de la musique japonaise, ce qui est finalement logique si on songe que adore Stravinsky : effectivement, dans Le Marteau les timbres rappellent l'orientalisme de Noces. Six danseurs évoluent d'une façon classique, par groupes et soli alternés, avant l'arrivée de la Voix, seule figure féminine. Celle-ci danse d'une manière traditionnelle, avec pointes et gestes classiques des bras. Pourtant elle arrive et repart portée telle un mannequin par une étrange figure habillée de noir comme les montreurs de marionnettes japonaises bunraku. Les danseurs eux-mêmes ont parfois aussi leurs manipulateurs. Ne sommes-nous finalement que des marionnettes aux mains du destin ? L'énergie est là, mais n'est-elle pas vaine ?

Sonate à trois traitée comme un drame s'inspire de la pièce de Jean-Paul Sartre Huis clos. Deux femmes l'une en rouge l'autre en vert, se disputent un homme en costume noir, avec les sentiments duquel elles jouent avec perversité. La chorégraphie est cette fois «mixte» : Béjart utilise encore certaines postures classiques, mais dans l'ensemble le jeu dramatique impose des formules corporelles plus contemporaines. La cruauté du propos transparaît dans la rapidité des enchaînements et la danse est aussi acérée que peut l'être un coup de poignard : l'incommunicabilité entre les trois partenaires est une évidence. On est finalement seul avec ses mensonges ; l'énergie est là, mais pourquoi faire ?

Variations pour une porte et un soupir est une sorte d'exercice de style pratiqué par le compositeur : trente minutes pour une expiration et un grincement de porte, cela pourrait paraître long. Sept danseurs sont d'abord assis sur des chaises pendant que la voix de explique la marche semi aléatoire de la chorégraphie. Chacun des interprètes tire au sort un numéro qui va en faire un personnage intervenant dans les différentes phases de l'œuvre : chaque variation est illustrée par des soli, des ensembles, ou rien. Chacun fait preuve de beaucoup d'ingéniosité et d'humour sans aucune trace de classicisme dans les attitudes. La dernière pièce s'intitule «Mort» : l'énergie est là mais la fin est certaine pour tous…

La contradiction entre le propos et les moyens pour y parvenir est donc flagrante, mais n'est-ce pas là un des attraits de l'artiste auquel le Ballet de l'Opéra du Rhin et Bertrand d'At rendent hommage ? En outre la pensée directrice est claire, et le résultat visuel superbe. Béjart a su rendre la danse populaire en alliant les techniques du passé à des innovations toujours actuelles.

Crédit photographique : © JL Tanghe

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