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Nelligan, une comédie-musicale à l’Opéra de Montréal

Il serait temps de remettre les pendules à l'heure, de repenser les priorités, de décider ce que doit faire l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal.

On se réjouit que depuis 1984, l'Atelier lyrique ait offert un programme de perfectionnement pour jeunes chanteurs d'opéra professionnels. Pourtant, une sérieuse prise de conscience s'impose aujourd'hui, sur la pertinence et son rôle. On se demande toujours, en écrivant ces lignes, si l'Atelier est un passage obligé pour de jeunes chanteurs lyriques qui veulent faire carrière.

Choisir la comédie-musicale, donc, la chanson populaire qui en émane, n'est pas un mal en soi. D'autres institutions s'en chargent et réussissent avec des résultats plus probants. Il n'est pas question, non plus, de débattre ici de la hiérarchie des genres. Nelligan appartient à un genre spécifique, et même si on a affublé cette comédie-musicale d'«opéra romantique», nul n'a été la dupe d'un tel transfuge.

Près de trois longues heures interminables et d'une monotonie assommante ! L'intrigue en semble diluée, presque anecdotique. Le fil en est ténu. Nous avons l'impression de passer à côté de l'essentiel. On nous ballotte de Baudelaire à Lautréamont, avec passage obligé du couple Rimbaud-Verlaine. De cette revendication d'appartenance à la grande famille des poètes maudits, Nelligan, poète national québécois, n'en sort nullement grandi, mais devient une sorte d'épigone quelque peu attardé. On décline la vie du poète avec cette équation simpliste du romantique incompris, où le génie rime avec folie. Conflit familial en filigrane entre un père irlandais et une mère canadienne-française, famille douloureusement bilingue où le jeune Émile s'identifie à la mère, donc à la langue française et à la bohème montréalaise/montmartroise. Il reste l'excellente poésie de Nelligan, dont Le Vaisseau d'or conclut l'ouvrage. La musique d', peu inventive, n'est qu'un long chapelet, une litanie pianistique – arrangée par Anthony Rozankovic – qui accompagne un texte chanté ou déclamé avec peu de relief. À de rares occasions, la musique devient drame. Mais point le drame intimiste qu'un tel sujet réclamerait.

À de rares exceptions, l'inconsistance des personnages, – ce sont des ombres qui passent dans la vie du poète – le dispute au jeu souvent gauche des interprètes. Enfermé à l'asile Saint-Jean-de-Dieu, Nelligan vieillissant, voit sa vie défiler devant lui, et revit avec émotion, les épisodes marquants jusqu'à la chute brutale et son internement. Criminel de poésie ? Acceptation de sa condition d'aliéné. Tout est dit et c'est peu. Il y manque ce mordant, la palpitation, et surtout la déraison qui nous ferait chavirer dans les abimes du rêve. Pourtant, le ténor s'investit corps et âme dans ce rôle éprouvant. Omniprésent sur scène, il a la démarche hasardeuse des aliénés, toujours obéissant, le contraire du révolté de jeunesse qu'il fût, dorénavant enfermé entre les murs de la folie. Les yeux vides, la mémoire chancelante mais la tête toujours pleine de poésie. Et de l'autre côté du miroir, de percevoir son ego, le baryton , en Nelligan jeune. Il en a l'ardeur juvénile, le physique, l'adresse sur scène et une jolie voix de baryton qui le place d'emblée du côté de la comédie-musicale ou du théâtre parlé.

Il est difficile de se prononcer sur les autres interprètes. Ce sont des marionnettes – voulues par le metteur en scène  ? – qui interviennent avec plus ou moins d'à-propos pour faire avancer l'intrigue. incarne une mère aimante et compréhensive, en écharpe entre un fils exalté et un mari intransigeant. Mention honorable pour le baryton-basse , qui manque sans doute un peu d'aplomb pour incarner la rigidité du père de famille. Son jeu scénique paraît sincère, contrairement à Roy Del Valle, la plus grande déception de la soirée, voix ingrate et scéniquement mauvais. Que dire de la soprano , la sœur d'Émile, du baryton en Père Seers ? Ils tiennent leur rôle respectif, sans plus. Idem du ténor et de la mezzo-soprano .

La mise en scène de , qui se veut un théâtre de l'introspection restitue parfaitement l'atmosphère et l'ambiance délétères d'une famille brisée par les frasques du fils. Le décor unique et les costumes, d'Évelyne Paquette et de Kate Whitehead rappellent l'époque et le milieu de vie du poète Nelligan. Les éclairages, avec les tons de gris dominants, sont toujours en situation. L'accompagnement de deux pianos et d'un violoncelle convient à cette pièce qui se veut d'abord et avant tout intimiste.

Crédit photographique : © Yves Renaud

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