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Charles Munch dirige un trésor de musique française

est mondialement célébré pour ses interprétations irréprochables de la musique française : Berlioz, Debussy, Ravel, Roussel et Honegger, parmi tant d'autres, ont trouvé en lui le musicien incomparable qui sut exalter toutes les potentialités de leurs partitions avec une fougue, une élégance et une jeunesse inaltérable.

(1891-1968) ainsi d'ailleurs que son collègue Pierre Monteux (1875-1964) ont été formés dans la culture musicale germanique, grâce à quoi ils nous ont légué quantité d'admirables interprétations de musique allemande et autrichienne des époques classique et romantique. Toutefois l'un et l'autre chefs français se sont fait un point d'honneur de défendre de manière exhaustive la musique de leur pays natal et de la faire connaître partout ailleurs : Pierre Monteux lorsqu'il était notamment directeur de l'Orchestre Symphonique de San Francisco de 1935 à 1952, et lorsqu'il présidait aux destinées de l'Orchestre Symphonique de Boston de 1949 à 1962.

À l'Orchestre Symphonique de Boston qu'il hérita de Serge Koussevitzky, Munch a apporté «The French Touch», cette subtile qualité française que possédaient les grandes phalanges françaises de cette époque, notamment dans la sonorité des instruments à vent, et les enregistrements publics qui nous sont proposés dans ce bel album en constituent un témoignage des plus éloquents.

À tout seigneur, tout honneur : (1803-1869) a toujours été le compositeur français de prédilection de Charles Munch, et il faut bien admettre que le caractère romantique exacerbé de l'illustre musicien français correspond à merveille à notre bouillonnant chef alsacien. Peu de musiciens ont su imposer la musique de Berlioz avec une telle ferveur, un tel enthousiasme, un tel panache et un tel engagement que ceux de Charles Munch. Il serait toutefois injuste de passer sous silence les admirables interprétations du franco-belge André Cluytens – chef bien trop sous-estimé de nos jours – du britannique Sir Colin Davis, et dans une moindre mesure peut-être, de Pierre Monteux.

Harold en Italie de Berlioz n'est pas un concerto pour alto et orchestre, mais bien une symphonie pour orchestre avec alto principal : cette précision est nécessaire, car c'est bien la raison pour laquelle Paganini, tout en admirant la composition et l'auteur à qui il l'avait commandée, avait refusé de la jouer, bien conscient qu'il n'aurait pu briller en l'interprétant. C'est l'altiste écossais William Primrose qui eut le privilège d'imposer au disque la partition avec conviction, nous livrant trois enregistrements studio légendaires : celui dirigé par Sir Thomas Beecham pour EMI en novembre 1951, et pour RCA Victor ceux dirigés par Serge Koussevitzky en 1944 et par Charles Munch en mars 1958. Toutefois c'est un élève de Primrose, , altiste principal des orchestres de Boston et de Philadelphie durant 50 ans, qui s'est véritablement approprié Harold en Italie, se révélant un modèle incontournable pour les futurs interprètes de l'œuvre.

Si de Pasquale nous a laissé, le 21 janvier 1965 à Philadelphie, une gravure studio d'Harold en Italie sous la direction d'Eugene Ormandy, il ne l'a pas gravée avec Munch, aussi accueillons avec gratitude cet admirable enregistrement capté en public le 2 avril 1954 : maîtrise souveraine de la virtuosité et plénitude de la sonorité caractérisent le jeu chaleureux de . Le support orchestral de Charles Munch est fulgurant et fait pardonner la coupure de la répétition du grand tutti orchestral du Finale – Orgie de Brigands. Tout aussi fulgurantes sont les exécutions des deux courtes ouvertures berlioziennes que Munch aura d'ailleurs l'occasion de graver en studio, parmi d'autres, le 1er décembre 1958.

C'est encore Berlioz qui nous apporte l'immense joie d'apprécier, dans Les Nuits d'Été, l'art sublime de la très regrettée Victoria de los Ángeles (1923-2005) : ce 9 avril 1955, la cantatrice espagnole offre au public de Boston l'une de ses toutes grandes interprétations, et non contente de cela, elle y joint une admirable exécution de La Damoiselle Élue, poème lyrique de (1862-1918). Ces deux œuvres rarement jouées et enregistrées à cette époque (et même encore de nos jours !…) de los Ángeles et Charles Munch les estimeront suffisamment importantes pour les graver en studio du 11 au 13 avril 1955.

Et précisément, était parmi les compositeurs français le plus souvent dirigés par Charles Munch : dès le 2 mars 1942, notre chef gravait La Mer pour le 78 tours «La Voix de son Maître», avec l'Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de Paris ; toutefois c'est son enregistrement bostonien, réalisé le 9 décembre 1956, qui fait toujours autorité, et que l'on comparera judicieusement avec cette version «live» plus récente du 4 octobre 1958.

Iberia, la deuxième des trois Images pour orchestre de Debussy, fut également parmi les chevaux de bataille de Charles Munch qui nous en a légué d'innombrables interprétations, dont plusieurs en studio. Mais plus rares sont ses exécutions simultanées du cycle intégral, et cette version publique du 22 novembre 1957 n'en est que plus précieuse et constitue une alternative idéale à sa gravure «officielle» du 16 décembre 1957 pour RCA Victor.

La musique de (1875-1937), par sa distinction et son orchestration chatoyante, ne pouvait manquer d'attirer Charles Munch qui nous offre, ce 29 novembre 1958, d'éblouissantes interprétations des Valses nobles et sentimentales et de La Valse : hormis leur point commun qui est un hommage à la valse autrichienne, l'idée d'avoir regroupé ces deux œuvres dans un même concert est d'autant plus séduisante et logique qu'elle se justifie par la citation quasi textuelle, dans La Valse, d'une section de la dernière des Valses nobles et sentimentales, (la septième, précédant l'Épilogue final) ; par ailleurs, la transition pianissimo, s'effectuant en douceur entre les deux œuvres, est un atout supplémentaire pour leur exécution successive. Enfin La Valse reçoit un aboutissement vraiment cataclysmique dont Munch avait le secret.

Excellente idée de la part de Charles Munch d'avoir également juxtaposé, en ce concert du 15 mars 1958, le Concerto pour piano en sol de et la Symphonie n°1 «sur un Chant montagnard français» de (1851-1931), deux chevaux de bataille de la pianiste française Nicole Henriot (1925-2001) qu'elle a gravés commercialement avec notre chef, le Ravel à plusieurs reprises pour Decca, RCA Victor et EMI. Si Charles Munch a accompagné d'innombrables solistes tout au long de sa carrière, il a toujours tenu, pour la musique française, à mettre en valeur Nicole Henriot, musicienne surdouée trop peu connue car trop modeste : élève de Marguerite Long, elle remporte un Premier Prix de piano en 1938, à l'âge de 13 ans ! On comprend que Munch lui portait une affection particulière, car de plus elle devint sa nièce par alliance, ayant épousé Jean-Jacques Schweitzer, de la famille du célèbre théologien, médecin et organiste Albert Schweitzer : c'est la raison pour laquelle elle est souvent mentionnée sur disque sous le nom de Nicole Henriot-Schweitzer.

La Symphonie en ré mineur de (1822-1890) reçut également les faveurs de Charles Munch qui n'en réalisa pas moins de trois enregistrements commerciaux dont celui chez RCA Victor le 11 mars 1957. La double culture franco-germanique du chef devait bien servir la musique de Franck fort influencée par l'orgue allemand et la richesse typique de son contrepoint. Si l'on peut préférer la version incomparable et inégalée de Pierre Monteux et l'orchestre Symphonique de Chicago (également chez RCA Victor le 7 janvier 1961), on ne peut qu'admirer la profondeur de l'inspiration et la richesse de la palette sonore de l'orchestre de Boston, même si parfois, dans les mouvements extrêmes, les trompettes paraissent un peu trop proéminentes.

Hormis peut-être André Cluytens, Jean Martinon ou , aucun chef n'a dirigé (1869-1937) comme l'a fait Charles Munch, fervent admirateur de la première heure et défenseur éclatant d'un musicien dont sa connaissance profonde et l'unité de sentiment comme de pensée entre compositeur et interprète tenaient du miracle. Dès le 2 juin 1947, il grava chez Decca la Suite en fa, et ce n'est qu'en juin 1965 qu'il nous laissa la version de référence en stéréophonie chez Erato. Comme il n'a pas enregistré l'œuvre en studio avec l'Orchestre Symphonique de Boston, cette version «live» du 9 avril 1955 est vraiment la bienvenue, d'autant plus que s'y révèlent à merveille l'exubérance joyeuse et la souplesse incisive de ce chef-d'œuvre de la musique française.

Enfin, un intérêt supplémentaire de cet album – et non des moindres – est de nous proposer quatre œuvres dirigées par Charles Munch, inédits qu'il n'a jamais immortalisés en studio sur disque commercial. D'abord cette éblouissante exécution de Jeux, poème dansé de Debussy, captée le 12 avril 1958 : sans doute Munch n'a pas gravé l'œuvre par respect envers Pierre Monteux qui l'avait créée en 1913 aux Ballets Russes de Serge de Diaghilev. Rappelons en effet que Munch admirait sans réserve deux musiciens qu'il considérait comme chefs d'orchestre de génie : Arturo Toscanini et Pierre Monteux.

L'Introduction et Allegro pour flûte, clarinette, harpe et quatuor à cordes de Ravel, par sa formation chambriste, semble a priori une page non destinée aux grandes salles de concert, mais cette œuvre limpide et raffinée mérite pourtant la plus grande diffusion, et c'est probablement la raison pour laquelle des chefs comme André Cluytens, Jean Martinon et Charles Munch l'ont programmée, prenant bien soin d'en amplifier le quatuor en un ensemble à cordes plus fourni.

Parmi les douze symphonies composées par (1892-1974), la Symphonie n°6 se révèle tour à tour lyrique et méditative, tumultueuse et exubérante. Commande de l'Orchestre Symphonique de Boston pour son 75e anniversaire, elle est dédiée à la mémoire de Serge et Natalie Koussevitzky, et fut créée par Charles Munch le 7 octobre 1955. De Milhaud en enregistrements studio, notre chef alsacien ne nous a laissé que La Création du Monde et la Suite Provençale chez RCA Victor.

Par affinités, Munch a souvent dirigé des fresques chorales françaises avec cette exaltation qui lui était propre : notamment de Berlioz, la Grande Messe des Morts (Requiem), Roméo et Juliette, La Damnation de Faust, L'Enfance du Christ ; de Debussy, Le Martyre de Saint Sébastien ; de Ravel, Daphnis et Chloé intégral ; de Poulenc, le Gloria ; de Honegger, Jeanne d'Arc au Bûcher, Une Cantate de Noël ; et, dernier inédit d'importance faisant partie de cet album, le Requiem de (1845-1924), donné en public le 13 février 1956. Extraordinaire interprétation, très lente et méditative, portée par des interprètes d'exception : le soprano Adele Addison, le baryton-basse Donald Gramm, le Harvard Glee Club et la Radcliffe Choral Society sous la direction du chef de chœurs G. Wallace Woodworth, et bien évidemment l'Orchestre Symphonique de Boston et son chef inspiré Charles Munch.

Finalement, inutile de préciser que grâce à cette imposante publication, cette série d'enregistrements «live» de Charles Munch à la tête du nous comble et confirme, si nécessaire encore, la stature de cet immense musicien français.

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