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Nous aimons le Printemps à Monte-Carlo

A la question – Aimez-vous le Printemps ? – largement diffusée dans les rues de Monaco en ces temps de Festival, notre réponse est oui ; et même sous l'humidité des embruns marins qui ternissaient un peu l'atmosphère de ce premier week-end du Printemps des Arts. Durant trois semaines (du 15 mars au 6 avril) d'une intense activité festivalière, qui boucle sa septième saison de directeur artistique à la tête de ce festival fait voyager son public des polyphonies du Moyen-âge à la radicalité de l'écriture contemporaine en biaisant par une soirée écologique – concert de légumes sur le parking du chemin des pêcheurs – un hommage à Brahms, à Ravel et une fête/anniversaire autour des Ballets russes. En bref, une affiche éclectique, haute en couleurs, émaillée d'humour et de découvertes mais qui n'écarte pas sa part de risque : celui de confronter, par exemple, et de manière un rien provocatrice, l'univers de Brahms et celui d' dans le contexte princier et tout en dorures de l'Opéra Garnier qu'honorait de sa présence, ce samedi 20 mars, SAS la Princesse Caroline de Hanovre. Il est vrai que ce chaud/froid menaçant l'auditeur avait été prévenu en amont par le biais d'une «Rencontre avec les œuvres» et les propos très galvanisants du musicologue Jérôme Thiébaux. Pour autant, ce n'était pas gagné d'avance. La «Nuit à l'Opéra» s'annonçait longue – en trois temps, de 20h à minuit ! – et semée d'épines….

L'entrée en matière d'Eric-Maria Couturier, l'un des violoncellistes de l', avec l'une des œuvres les plus subversives d', Pression qui était en soi un véritable défi. Cette pièce de 1970 relève du concept lachenmannien de «musique concrète instrumentale» donnant davantage à entendre les manifestations bruitistes de la production du son que le son lui-même : une écriture à laquelle il manquait ce soir une aura de résonance. Hormis le geste théâtral – un rien sur-joué – de l'interprète, force est de reconnaître que tout y était très/trop silencieux. Juste compensation des choses, le merveilleux Trio pour cor, violon et piano de Johannes Brahms sonnait avec beaucoup de charme et de fraîcheur dans l'interprétation des solistes de l'Intercontemporain exposés – une fois n'est pas coutume ! – aux affres expressives du romantisme. Sous l'action conjuguée et le timbre fusionnel du cor de Jean-Christophe Vervoitte et du violon de , l'Adagio mesto était un moment de pure émotion même si la partie de piano, trop en retrait sous les doigts d', n'atteignait pas à la plénitude sensuelle attendue.

L' au complet et sous la direction très investie de donnait ensuite deux œuvres maîtresses d' qui comptent parmi ses plus belles réussites. Mouvement (-vor der Erstarrung) (avant l'engourdissement) participe de cette nouvelle approche du monde sonore renouvelant le geste instrumental pour instaurer une nouvelle écoute. Fruit d'une pensée radicale servie par une écriture très fragmentaire qui fait éclater l'espace sonore, l'œuvre n'en captive pas moins l'écoute, happée par le foisonnement des sonorités et un courant étrangement directif qui s'impose à l'audition. L'expérience est renouvelée, avec plus de succès encore – les quelques irréductibles tombent sous le charme ! – avec … zwei Gefühle… mit Leonardo. Lachenmann lui-même y est récitant et devient le passeur idéal de l'émotion qu'incarne sa propre voix. Dans une position stratégique – côté cour, derrière le contrebassiste – mystérieux comme le sphinx, il laisse flotter le suspens sans jamais dévoiler le mystère et suspend notre écoute émerveillée aux aléas d'une matière sonore délicatement ciselée par les interventions ponctuelles des interprètes.

La soirée était couronnée par le récital Brahms de qui jouait les Quatre Ballades opus 10 et les somptueuses fantaisies de l'opus 116. Ecouter Nicolas Angelich est toujours plus qu'une aventure ; en nous charmant, l'oreille, il nous ravit l'âme, pourrait-on dire pour paraphraser Georges Sand. Les quatre ballades sont pour lui une étape dans ce processus d'immersion qui le mène au cœur de la sonorité, ample et voluptueuse, qu'il sait tirer des sept Fantaisies opus 116. L'écriture du dernier Brahms sollicite d'autres moyens – fulgurance du trait, complexité polyphonique – que le pianiste déploie avec une puissance qui force l'admiration. Virtuose, certes il l'est, mais avec cette plénitude du son et cette aptitude à dompter la résonance pour mener un discours totalement habité : tant il est vrai que la beauté du son conduit à la beauté du style.

Crédit photographique : Eric-Maria Couturier © Aymeric Warmé-Janville

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