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Le prince Gremine sauve Onéguine

Raconter l'intrigue d'un opéra n'est pas affaire aussi aisé qu'il y paraît. Mais faut-il, comme la metteure en scène coréenne , rajouter une histoire parallèle qui parasite l'argument ? Qu'amènent ces figurants vêtus de noir qui se couchent ou déambulent sans raison au milieu des protagonistes ? Ne se rend-elle pas compte que c'est au moment où elle les relègue en spectateurs dans les loges que la théâtralité émerge enfin ?

En effet, il aura fallu attendre l'avant-dernière scène de cette production bernoise d'Eugen Onegin pour goûter à une véritable émotion. Quand, dans une somptueuse incarnation vocale et théâtrale, s'invite en Prince Gremine, c'est tout l'agacement des actions parasites, la frustration de l'incompréhension de leur raison d'être qui s'évanouit d'un seul coup de chant. Dans une unique tirade d'où jaillit la grâce, avec une voix dont l'évidence force l'admiration, une dignité imposante, une connaissance profonde du rôle, du texte, montre la voie vers la splendeur musicale de Tchaïkovski et la poésie romantique de Pouchkine. Ce Prince Gremine sauve la production bernoise. Déjà remarqué dans l'Eugène Onéguine lyonnais de janvier 2007, il prouve ici combien la simplicité, le respect du compositeur a mille fois raison des gesticulations inutiles de metteurs en scène ne réussissant pas à s'en tenir au livret et à la partition. Même l'orchestre ne s'y trompe pas. Jusque-là bruyant, caricatural, dirigé avec une musicalité plus que discutable, il se révèle soudain d'une beauté incroyable. Si on peut accepter le discutable parti pris de l'image que veut donner à Eugène Onéguine en le présentant comme un machiste sans éducation, ou du ridicule de Tatiana et d'Olga en fillettes de pensionnat, pour le moins, on aurait aimé une approche plus réelle de cette société plutôt que ces caricatures.

On pourrait penser que les faiblesses de cette production sont imputables à la seule mise en scène. Non point. La direction d'orchestre de Srboljub Dinic n'arrange rien à l'affaire. Dirigeant tout en force, tirant l'orchestre vers un volume sonore qui couvre fréquemment la voix des chanteurs, le chef croate révèle un méconnaissable. Alors que nos lignes vantaient son admirable prestation musicale dans les récents Dialogues des Carmélites force est de reconnaître ici un incompréhensible manque de finesse dans une musique dont le romantisme est flagrant.

Bien évidemment, le plateau se ressent de cet accompagnement orchestral puisé dans la brusquerie. A l'exception du moment de grâce cité plus haut, rares sont les instants où le chant peut s'épancher dans la subtilité. Certes la puissance vocale de (Eugène Onéguine) lui permet de passer la rampe de l'orchestre et d'offrir un personnage bien en place. Mais quoiqu'il en possède l'aisance et l'envergure, l'environnement musical exagérément brutal ne lui permet pas de l'approfondir. Il en est de même pour le ténor (Lenski) qui, pendant une temporaire absence des figurants, peut chanter avec sensibilité la célèbre romance «Kuda, kuda, kuda vi udalis». Pour d'identiques raisons, tant (Tatiana) que Natasa Jovic (Olga) peinent à convaincre.

Une production inégale qui confirme qu'il faut bien peu de choses pour que «la sauce» prenne et tout aussi peu de choses pour qu'elle tourne. Un opéra, c'est l'œuvre d'un compositeur et d'un librettiste passant des heures sur le sujet. Le respect de la lettre de leur travail reste un incontestable gage de confiance en eux. Et partant, de réussite !

Crédit photographique : (Eugène Oneguine), (Lenski) © StadtheaterBern Annette Boutellier

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