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Pour la gloire de l’abbaye de Thélème

Ce programme autour de l'œuvre de Rabelais concocté par l'ensemble Jannequin et fut sans aucun doute l'un des grands rendez-vous des Rencontres de Musiques Anciennes en Midi-Pyrénées, organisées chaque printemps à Odyssud, la dynamique scène extra toulousaine de Blagnac.

En un peu plus de trente ans d'existence, l'ensemble vocal animé par le contre-ténor et se connaissent bien et ils ont l'habitude de travailler ensemble, s'inscrivant l'un et l'autre dans le mouvement de renouveau de la musique ancienne initié autour de . Ce programme a semblé d'autant plus séduisant aux souffleurs toulousains qu'ils se sont longtemps heurtés à de vastes carences de la musique française pour leur instrumentarium. Malgré la présence avérée de cornettistes appointés à la cour d'Henri IV et de Louis XIII, n'a jamais pu découvrir leur répertoire dans une musique peu instrumentée dans ces contrées. Il en va tout différemment pour le siècle précédent où les danses populaires et chansons à usage domestique se sont embourgeoisées et anoblies pour l'usage de la bonne société.

Autour de l'esprit de découverte et de renouveau qui régnait lors de la première Renaissance, ils se sont naturellement attachés à l'œuvre de François Rabelais, ce moine médecin et poète, qui fut l'un des chantres de l'humanisme. Et rien n'était plus naturel de choisir la geste de son héros Gargantua pour parcourir les musiques du début du XVIe siècle. Si des auteurs comme François Rabelais ou Clément Marot ont su bénéficier d'une grande liberté de pensée et d'écriture entre la fin du Moyen-âge et ces temps nouveaux de la Renaissance, cela n'a pas duré tout au long du XVIe siècle qui s'assombrit vite de guerres religieuses et européennes, sans compter l'établissement de la contre-réforme de l'Église romaine, initiée par le concile de Trente. Au-delà du fantastique qui prolonge l'esprit médiéval, les géants de Rabelais imposent l'idée que l'homme devient plus important et ramène Dieu à une dimension humaine. On découvre également que si Dieu a créé la nature parfaite, l'homme qui est placé au milieu, n'est pas si parfait. Sa quête spirituelle est donc d'aller chercher la vérité dans la nature.

Au point de vue musical, il est rare à l'époque d'associer un ensemble vocal et instrumental. Les instruments étaient dédiés à l'église, tandis que les chansons constituaient une récréation pour les lettrés, c'est-à-dire les clercs. Construit comme un parcours initiatique à travers la vie très horrifique du grand Gargantua, le programme ajoute en contrepoint des textes de Clément Marot, Louise Labé, Joachim du Bellay associés à des musiques de Clément Janequin, Claudin de Sermisy, Loyset Compère, mais aussi , , Claude Lejeune, Pierre Attaignant, Gabriel Bataille et Anthoine Bertrand. Sur scène, les chantres des Janequin paraissent en robe de bure pour entamer ce chemin vers l'abbaye de Thélème. Avec délectation et une verve comique qu'on leur connaît depuis trois décennies, ils s'adonnent à des jeux de miroirs à travers la vie du sympathique géant, de sa naissance à la fondation de l'abbaye fameuse en passant par son éducation, ses inventions (inénarrable «Torchecul»…), la chasse, la guerre, la danse…

Habillé en page, plutôt bouffon, le comédien Pierre Margot interprète un remarquable meneur de jeu emphatique et poétique, souvent ironique et parfois grivois, révélant le fil rouge du parcours. Il répond à l'imagination virtuose des musiciens, qui se délectent dans leur répertoire favori avec une énergie, une joie et une invention qui leur sont propres. C'est pour eux l'occasion de délivre r leurs «tubes» que sont «La Chasse» et «La guerre» ou le fameux «Martin menoit son pourceau» de Jannequin, assortis de truculentes paillardises que nos plus lestes amuseurs contemporains n'oseraient pas imaginer. Chantres et musiciens se jouent des multiples pièges d'écriture, de rythmique et de notation, savourant avec délectation les paillardises que les poètes de l'époque leur font dire avec une truculente verve. Au XVIe siècle, on est encore loin des métaphores policées que le mouvement précieux a imposées au siècle suivant. Le langage possédait encore toute sa verdeur fleurie et directe, que l'on a peine à imaginer aujourd'hui !

Cette musique extrêmement imagée par d'innombrables imitations de la nature ou de cris d'animaux, offre un côté spectaculaire qui réjouit le public, mais son interprétation est d'une difficulté immense, d'autant plus qu'elle n'est pas notée avec une grande précision.

Avec son timbre à l'aigu si particulier, mène la danse en routier accompli, qui jamais ne se lasse d'un répertoire aussi coloré. La présence des musiciens ajoute en densité et en profondeur à ces chansons, qu'ils accompagnent de fines ornementations. Leur musicalité fait merveille dans les épisodes consacrés à la danse. Témoignant de la continuité de cet esprit hédoniste, ils concluent le récital en rappel, non pas par leurs célèbres «Cris de Paris» de Clément Jannequin, mais par une version plus moderne de 1883. À la Schola Cantorum, on travaillait déjà sur les musiques anciennes… D'ores et déjà, ils ont enregistré ce programme original qui devrait paraître à l'automne prochain.

Crédit photographique : © Alain Huc de Vaubert

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