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IRCAM, Cage, 4’33

Avant de rendre compte de ce concert, signalons qu'une opportune conférence – 4'33″ : portraits chinois – le précéda. Opportune à deux titres : dans une judicieuse construction (chaque intervention n'avait pas le droit d'excéder 4'33″) et sous la conduite du philosophe Élie During, elle accueillit les propos de (musicologue), (historien de l'art), (philosophe et éditeur), (poète & philosophe) et (philosophe) ; puis, parce que 4'33″ de figure, cette année, au programme de l'épreuve d'histoire des arts du baccalauréat, la moitié de l'assistance était constituée de lycéens. Rassérénant renouvellement des publics.

Passons au concert. Son cœur – 4'33″ de – fut donné en sa lisière, tandis que, pour l'essentiel de sa durée, cette soirée consistait en l'interprétation exhaustive de Sixteen Dances (1950-1951) de Cage et de quatre œuvre nouvelles de , , et (trois commandées par la Casa de Música à Porto et l'autre par l' – Centre Georges-Pompidou) par lesquelles chaque compositeur fait écho à 4'33″.

Par sa dématérialisation du son et par la dépossession de soi qu'il porte, le long (une petite heure) corpus Sixteen Dances a littéralement mangé ce concert. On sait les singularités de son compositeur : Cage avait renoncé à la fonction démiurgique de l'artiste créateur au profit d'un ordinaire statut artisanal ; il avait refusé l'intentionnalité de la composition ; enfin, il avait réduit à son minimum la responsabilité du compositeur et avait laissé tout espace à l'aléa pour le déployer dans le champ de la composition. Ce 25 mars, au Centre Georges-Pompidou, Cage, presque vingt ans après sa mort, a dynamité le rituel du concert à l'occidentale. «JC» consume encore !

Tel a été le premier objet de cette production, créée l'avant-veille à Porto et redonnée le surlendemain à Bruxelles dans le cadre du festival Ars Musica. L'autre objet, plus vaste, a permis de s'interroger sur l'héritage de Cage. L'héritage reçu est connu : Satie et sa «musique d'ameublement», Marcel Duchamp, la philosophie bouddhiste, une lecture très parcellaire des trois Viennois (en une lecture déshabitée et morcelée) et la nouvelle danse états-unienne de son temps. Quant à l'héritage transmis, force est de constater sa modicité, hormis les travaux musicologiques. Quel compositeur ou quelle école, depuis lors et aujourd'hui, ont-ils poursuivi et poursuivent-ils encore la démarche de Cage ? L'école minimaliste-répétitive états-unienne. Une borne-témoin est apportée par la 12ème des Sixteen Dances : lorsqu'ils en découvrirent les lambeaux de tonalité (ici employés car Cage avait besoin d'un langage musical mort) et les rythmes répétés et cycliques, Reich et Glass n'eurent qu'à s'en saisir. Tous les outils du style qui allait faire leur gloire jonchaient, inemployés, depuis quinze ans. Ces jeunes loups états-uniens n'eurent qu'à se baisser pour les ramasser.

Quant à 4'33″, on l'entendit trois fois au cours de cette production : une première fois lors de la conférence initiale, par qui non-joua d'un saxophone ; la deuxième, réalisée par le compositeur et plasticien , en une version transcrite dans le langage des sourds-muets ; la troisième par en non-dirigeant le Remix Ensemble. Loin d'être une plaisanterie (rappelons que 4'33″ ne consiste pas en 4'33″ de silence mais l'occasion de musicaliser les bruits – humains ou non – environnants qui sonnent lors du concert), 4'33″ est l'aboutissement d'une démarche de type suprématiste (la spiritualité en moins, car Cage fut un pur matérialiste), telle celle de Malevitch, avec son Carré blanc sur fond blanc.

En bref : une soirée qui a effectivement stimulé la pensée de l'auditeur, plus que ses sens. Saluons la prestation du Remix Ensemble et de  : leur intelligence accomplie de cette situation de concert fut, tout simplement, impeccable.

Crédit photographique : © DR

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