- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Ana Durlovski, étrange et formidable Reine de la Nuit

Si pour sa mise en scène, s'est inspiré de l'incendie de la bibliothèque Anna-Amalia de Weimar au cours duquel une première édition de La Flûte Enchantée de Mozart avait péri dans les flammes, disons d'emblée que cet épisode n'apporte rien au livret. Tout juste le metteur en scène s'en sert-il d'illustration pour son décor.

En multipliant les symboles visant à expliquer le cheminement initiatique des protagonistes vers la Connaissance, il en exprime la caricature plutôt que le fond de l'intrigue. Que tirer de ces rayons de bibliothèque tantôt calcinés et vides, tantôt blancs et chargés de livres ? Le noir et le blanc ? L'ombre et la lumière ? Le metteur en scène allemand, dont on se souvient de l'exploit de présenter un Nabucco de Verdi sur la minuscule scène du Stadttheater de Berne ou de ses mises en scène de Salomé de Richard Strauss ou encore de Lulu d'Alban Berg au Théâtre Capitole de Toulouse, ainsi que du récent Faust de à l'Opéra de Paris s'enferre quelque peu dans son incendie. Ses tentures chargées d'images symboliques de la franc-maçonnerie ou de l'Egypte ancienne sont suffisamment évocatrices sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter. En outre, ses très beaux costumes reflètent bien le monde des initiés, avec leurs habits de lumières en opposition à ceux noirs des exclus. Si sait occuper l'espace scénique avec goût et talent, en revanche, il oublie de mener ses interprètes vers les enjeux de ses personnages. S'ils sont bien montrés dans la forme, ils restent souvent en marge du fond. Ainsi, les deux personnages centraux de l'intrigue, ceux qui entreprennent le voyage initiatique vers l'amour, Tamino et Pamina déambulent chacun de leur côté sans que leurs regards ne se croisent jamais. Difficile dans ces conditions de croire en leur amour. Si la qualité des deux acteurs est certainement en cause, le manque de direction de ces acteurs reste flagrant. Dommage, parce que dès le début de l'opéra, l'exemple du travail théâtral des Trois Dames s'avère exemplaire.

Le plateau révèle une distribution inégale. Oublions la triste prestation de (Tamino), un amoureux bien inerte théâtralement et malheureusement encore plus fade vocalement. A ses côtés, Lenneke Rulten est une Pamina sans esprit. Une première de classe. Le chant est correct, l'interprétation est correcte, mais elle manque terriblement d'âme, voir de caractère, comme une fille trop sage. Si le Sarastro de Rúni Bratteberg réussit à impressionner avec de belles notes dans le registre grave, il trouve rapidement ses limites dans un aigu manquant souvent de justesse. Même s'il manque de charisme, le couple de Papageno (Benoit Capt) et de Papagena (Julie Martin du Theil) habite agréablement la scène. Leur costume de pingouin fait mouche, quand bien même cette apparition «volatile» reste indéchiffrable dans le contexte de cet opéra. Reconnaissons cependant qu'ils apportent une vitalité et une drôlerie bienvenue dans ce spectacle.

La surprise de cette production lausannoise réside dans l'apparition d'une Reine de la Nuit aussi inhabituelle qu'enthousiasmante. Jouissant d'une formidable présence scénique, vocalement est la plus étrange Reine de la Nuit qu'on puisse imaginer. Alors qu'on attend de ce personnage qu'il paraisse nimbé d'étoiles, grande statue s'élevant au-dessus de la scène, s'engageant dans l'un des airs les plus difficiles du répertoire lyrique, abandonne le mythe céleste et le présente d'abord comme un personnage terrestre. Véritable furie, telle une Médée, sortant d'un sarcophage, elle s'avance pour crier son amertume d'avoir été privée de sa fille Pamina. Dans cette scène, la voix de la soprano macédonienne se colore d'accents dramatiques propres à une Norma enflammée déversant sa fureur. La puissance de son discours vocal, l'amplitude du registre grave fait alors douter de ses capacités d'atteindre les notes stratosphériques de son air d'entrée. Mais, lorsqu'elle invoque les dieux qui l'ont bannie, et la confiance qu'elle veut avoir dans l'amour de Tamino pour libérer sa fille, c'est la colorature qui subitement prend la mesure des vocalises dont la soprano possède toute l'étendue et la facilité. Une voix étrange, une voix formidable,  : une révélation !

Dans la fosse, le chef favorise la musique à l'effet. L' se plie aux tempos qui, avec leur lenteur parfois exagérée, révèlent la musicalité d'une partition souvent traitée plus en fonction de l'action scénique que des mélodies qu'elle cache. En tirent un bel avantage, les Chœurs de l'Opéra de Lausanne très bien préparés par .

Crédit photographique : (La Reine de la Nuit), (Tamino) © Marc Vanappelghem

(Visited 1 829 times, 1 visits today)