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La vie sauve pour Salome

Le résumé distribué dans la salle du Teatro Real lors des représentations actuelles de Salome de prend soin de le préciser : l'action a été transposée du palais d'Hérode « dans l'ambiance kitsch de l'antichambre de la salle des coffres d'un casino de Las Vegas ». Et cette transposition surprenante sur le papier fonctionne parfaitement sur scène.

Le palais d'Hérode est devenu un autre lieu de plaisirs éphémères, le casino. Depuis le sous-sol aux murs tapissés de coffres, Narraboth peut voir et admirer Salome grâce aux caméras de surveillance. C'est grâce à elles que l'on aperçoit la lune ou encore la fête qui se déroule chez Hérode. A jardin, un escalier monumental par lequel on descend de la salle où se tenait la fête ; à cour l'immense porte blindée qui ne sert plus à se prémunir du vol mais à retenir prisonnier le prophète. Le choix du casino permet aussi de conserver pour les figurants des costumes de romains et d'égyptiennes, qui sentent le faux et les paillettes. Dans ce nouveau cadre, Jochanaan, seul personnage habillé en nazaréen, est la métaphore du sens moral dont tous les autres personnages sont dépourvus. Pour son entrée en scène, les immenses murs de coffres s'écartent pour faire place à un décor monumental de dunes. Jochanaan est un prophète qui vient interpeller les habitués du lieu et les exhorter à abandonner leurs vices, hier la luxure dans le palais d'Hérode, ici la soif de l'argent d'une société de consommation. La direction d'acteurs est à la hauteur de la cohérence du dispositif, que ce soit dans les rapports d'attraction et de répulsion de Salome et de Jochanaan ou dans la peinture sarcastique et bouffonne du couple minable que forment Hérode et sa nouvelle femme. s'est attaché particulièrement au personnage pathétique d'Hérodias, qui refuse de se rendre à l'évidence : sa fille Salome ne demande pas la tête de Jochanaan parce que celui-ci a insulté publiquement sa mère, mais simplement par un caprice d'enfant gâtée. Le metteur en scène renouvelle complètement la scène de la danse des sept voiles qui n'est plus ici l'effeuillage de Salome mais une scène de mime dansé où la princesse singe sa mère et la façon dont celle-ci séduit les hommes. Et parce qu'il voit en elle la volonté d'une évolution, même si celle-ci n'aboutit pas, sauve la vie de l'héroïne et nous montre Hérodias, plus mature et donc plus consciente et responsable de ses méfaits, acculée par le « chœur » à l'avant-scène, sur le point d'être tuée avant un noir final saisissant.

Jesús López-Cobos insuffle à l'excellent Orchestre Symphonique de Madrid un allant exhaltant et instaure une tension digne du polar que pourrait être cette Salome lue par Carsen. Dans le rôle-titre, se taille la part du lion, avec une voix homogène et belle sur toute la tessiture, une technique et un engagement sans faille. D'engagement ne manquent pas non plus les très complémentaires et , elle grande et sonore, lui plus rond de stature et de voix, Hérodias outrancière et Hérode apeuré. impose en Jochanaan une voix large et puissante, et Tomislav Muzek et Jennifer Holloway complètent avec sensibilité cette belle distribution. L'ensemble des petits rôles constitue une sorte de chœur bien chantant, qui se coule dans l'intelligente conception du metteur en scène. Le Teatro Real de Madrid, à la hauteur de sa réputation, proposait avec cette équipe fastueuse un spectacle d'heure cinquante d'une tension sans relâche, un vrai sans-faute !

Crédit photographique : (Salome) ; (Herod) © Javier del Real

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