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Du grand National avec Daniele Gatti

Poursuivant sa série Mahler qui s'étalera sur trois saisons, l'ultime concert avec la Symphonie n°10 étant prévue le 1er décembre 2011, l'Orchestre National emmené par son chef abordait l'immense Troisième avec ses six mouvements de plus de quatre vingt dix minutes et dont le premier, le terrible Kräftig, entschieden (avec force, décidé) dura ce soir à lui tout seul plus de quarante minutes.

Ce petit indice chronométrique pourra donner au connaisseur une certaine idée du tempo sinon du style que le chef adopta pour ce premier mouvement qui a donné lieu à des visions extrêmement variées selon les interprètes. A l'évidence, en choisissant un tempo très retenu et surtout le conservant d'un bout à l'autre, sans trop marquer les changements de sections et de climats, Gatti a privilégié la cohérence du mouvement et le respect des nombreuses indications de phrasé qu'un National des grands jours exécuta avec une fidélité exemplaire, évitant ainsi haut la main le piège du patchwork, au détriment plus ou moins marqué des contrastes et de l'animation interne. Ajoutons que l'acoustique assez sèche du Chatelet ne favorisait pas ne telle conception car elle a trop tendance à éteindre prématurément les notes, donnant au discours une incontestable impression de discontinuité qui n'est pas dans la partition ni certainement dans la volonté des interprètes. C'était là le risque inhérent au choix de ce tempo, que les micros de France Musique, qui retransmettait le concert en direct, corrigèrent en partie. Mais si on incriminera volontiers la sècheresse acoustique dans la sensation inachevée de l'écoute du premier mouvement, on reprochera cette fois-ci au chef d'avoir conservé aux quatre mouvements suivants une uniformité d'expression au sérieux imperturbable frisant la sévérité, qui du coup donnait une certaine monotonie, sinon parfois un contresens, à ces mouvements sensés apporter chacun leur propre éclairage et des émotions différentes. Ainsi le second mouvement Tempo di menuetto, Grazioso, manquait «sérieusement» de grasiozo, comme le troisième mouvement Comodo Scherzando par sa retenu avait un caractère finalement un peu bizarre et bien peu scherzando.

Le style sérieux de Gatti alla mieux et plus naturellement au quatrième mouvement, tout en recueillement, Sehr langsam, Misterioso interprété par la mezzo-soprano , à la voie un peu claire et manquant de tenue dans le grave. Rappelons que l'exercice est toujours difficile pour les mezzos que de réussir pleinement ce «O Mensch !», extrait du Also sprach Zarathustra de Nietzsche, écrit plutôt pour alto. Notons au passage une curiosité locale qui peut parfois être perturbante : ayant fermé les yeux pour nous mettre en condition pour ce sublime passage, nous fumes surpris par l'arrivé d'un roulement pianissimo de la grosse caisse. Vérifiant de visu, nous vîmes le préposé au dit instrument sagement assis bras croisés sur sa chaise. Et oui, le grondement du sous-sol parisien, magiquement similaire à celui de la grosse caisse, venait de se rappeler à notre mémoire, ajoutant son grain de sel au texte de Mahler. Reste que pour surprenant qu'il fut, cet ajout inopiné n'était pas si à contre sens que ça, du moins à ce moment là.

Au moins dans ce quatrième mouvement texte (y compris ses ajouts fortuits), musique, atmosphère, étaient parfaitement en phase, alors que le suivant fut le plus délicat de toute l'œuvre avec un vrai hiatus entre le texte chanté et l'atmosphère musicale : s'il n'y avait le sur-titrage, il aurait été impossible à l'auditeur de croire qu'il entendait «Trois anges chantaient une douce chanson dont les notes joyeuses emplissaient le ciel». Sans doute ici la vision trop sérieuse et distanciée de Gatti atteignait ses limites. Par contre la vraie et grande réussite de cette soirée fut un formidable final, où le tempo choisi fut parfait, y compris en tenant comte de l'acoustique qui avait pénalisée le reste de la symphonie. Et instantanément, dès les premières notes, le frisson nous parcourut l'échine pour ne plus nous quitter, signe d'incontestable réussite, car si l'auditeur ne ressent rien ici c'est à désespérer. Bravo donc pour ce fabuleux final. Et bravo à tous les interprètes, chœur et orchestre, malgré quelques petits pépins des cuivres sans gravités, qui donnèrent ce soir une exécution de très haut niveau.

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