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Boris Berezovsky : vers la palme ?


Initialement programmé en janvier dans le cadre de la Saison Russe au Louvre, le concert de avait été annulé à la dernière minute. C'est peu dire si sa présence semblait attendue et, à en croire l'interminable file d'attente et la répartition dissymétrique côté jardin, on pouvait aisément deviner l'excitation du public. Berezovsky est un pianiste qui sait cultiver son image de virtuose «à l'ancienne», tant par ses attitudes mesurées que par un répertoire éminemment dévolu à des pièces brillantes et difficiles. Ce soir-là, c'était autour de la figure tutélaire de Serge Rachmaninov qu'il avait organisé son programme.

D'emblée, le terme de «virtuosité» s'impose avec une évidence fracassante. L'ouverture maestoso du Prélude op. 23 n°2 éclate en un feu roulant d'arpèges à la main gauche en emportant au passage tout espoir d'échapper à une vision monolithique de l'œuvre. Le brassage des accords en octave et en tierce noie littéralement la mélodie dans le médium. Le jeu de Berezovsky est abrupt, d'une virtuosité glaçante qui déroute par endroits. On guette (et goûte) les quelques moments de répit, comme l'Andante du n°4 – plaintive cantilène en larges et lents arpèges. Ici, tout est momentanément suspendu et reposant… mais hélas de courte durée, juste comme une transition vers un déluge de notes à venir. La sonorité n'est jamais prise en défaut même si c'est bien d'un culte du son dont il faut parler à propos de cet interprète. Un son jamais émollient mais toujours à la recherche de la netteté au dépens du legato. Entre énergie et brutalité, le phrasé à la moindre occasion se cabre et piaffe d'impatience (notamment le n°5 alla marcia). Cette approche s'explique également par le choix – arbitraire – de ne pas donner l'intégralité du cycle afin de mieux faire ressortir l'urgence virtuose de Rachmaninov.

Défaut de programmation ou choix stratégique ? Les Préludes du méconnu Anatoli Liatov (pourtant pressenti à l'époque pour la commande par Diaghilev de L'Oiseau de Feu) sonnent comme une aimable musique, à la fois courte d'ambition et d'un apprêt de salon. Ici, les contours rappellent explicitement Chopin mais la ligne générale se perd en bluettes thématiques sans grand intérêt. Une main gauche reléguée en arrière-fond et la droite déroulant des guirlandes sucrées confondant thèmes et mornes ritournelles… Seul le Prélude en fa dièse mineur donne l'occasion à l'interprète de prouver – si besoin était – la cohérence virtuose de son style.

Le retour à Rachmaninov en seconde partie efface certaines réserves exprimées jusqu'alors. Moins connue que la seconde sonate, mais tout aussi prolixe sur le plan pianistique, l'opus 28 est une de ses plus remarquables compositions. Le post-romantisme s'y renouvelle avec un talent bien supérieur à l'écriture lacrymale des concertos. Les trois mouvements de la sonate s'inspirent des trois personnalités du Faust de Gœthe à savoir, Faust, Marguerite et Méphisto. Berezovsky joue ici sans partition. Il parvient à faire oublier sa maîtrise technique de broyeur d'ivoire, ce qui donne l'occasion d'apprécier une musicalité très riche et de subtils changements de caractère et de dynamique. Dans les moments d'apaisement, on retrouve un dépouillement et une émotion qui se développe autour de la cellule de quinte du début, puis se diffracte en une infinité de doubles croches et de trémolos. Certes, à certains moments – comme la partie médiane du premier mouvement ou le final du troisième – l'accumulation expressive se change en une force tellurique littéralement brutale mais on reste cependant émerveillé par les nuances à mi-chemin entre Liszt et Scriabine qu'il insuffle dans son interprétation.

Un regret cependant : celui d'avoir sacrifié à l'inutile convention des bis alors même que le Steinway avait rendu l'âme et qu'une fatigue perceptible rendait brouillonne l'exécution de la Valse en la bémol mineur et l'Etude op. 10 n°1 de Chopin.

Crédi photographique : © Alvaro Yanez

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