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Humilité de Severin von Eckardstein face à la partition

On se souvient de la saisissante apparition télévisée du jeune pianiste allemand, lorsqu'il remporta en 2003 le premier Prix du Concours International Reine Elisabeth, qui interprétait sans sourciller le redoutable Concerto pour piano & orchestre n°2 de Prokofiev. L'indiscutable maîtrise du propos, l'intelligence du phrasé, alliée à une chaleur d'expression, allaient devenir la signature de , depuis invité régulier de tous les festivals européens de prestige.

Le pianiste collabora pour la première fois en 2006 avec le label belge Fuga Libera, pour un disque singulier consacré à Glazounov. Cette fois, ce sont deux visages différents de qu'il met en regard dans ce programme ; la sonate inachevée «Reliquie» D. 840 datant de la période créatrice intermédiaire, et la plus connue sonate D. 959, véritable chant du cygne du compositeur qui se savait condamné et qui n'avait plus qu'un an à vivre.

Après les versions de Richter, Arrau, Serkin, Brendel, Schiff, Perahia, entre autres, Eckardstein ne rougit pas et déclare simplement : «Dans ces deux sonates, il y a tant de détails musicaux à découvrir, que je n'ai pu me défaire de la pensée de proposer une nouvelle version. Par là, je n'ai pas l'intention d'afficher telle ou telle attitude fondamentaliste et exclusive de l'interprétation, qui prétendrait à une vision différente, tournée vers un nouveau concept sonore». Et c'est avec simplicité et détermination, que s'élève la voix d'Eckardstein, s'emparant de ces pages avec évidence.

Dans la Sonate «Reliquie», il parvient à instaurer une sensation de work-in-progress, grâce à un sens patent de la construction, du caractère immuable du discours, sans surjouer la narrativité. Certains regretteront peut-être le manque de mystère, que Richter avait sû imposer par sa maîtrise de l'extension du temps, mais d'autres apprécieront l'aspect franc, ouvert, du jeu d'Eckardstein.

Son piano est plus «racé» dans la grande Sonate en la majeur, il s'y autorise davantage de dynamiques et de couleurs. L'Allegro du premier mouvement est impétueux, la dimension orchestrale restituée avec justesse. La richesse des plans sonores se modèle grâce à une main gauche particulièrement présente, chantante, et ce, durant tout le disque. Le chant de l'Andante, sommet de mélancolie schubertienne, est très expressif, la nature vraiment plaintive mais sans lourdeur. Le Scherzo est éclatant, grâce à un jeu incisif mais jamais dur. La douceur, la netteté des plans sonores et le soin apporté aux phrasés se vérifient jusqu'au Rondo final.

Relief du piano et humilité face à la partition sont les signes d'un jeu épanoui, impression que renforcent une sobriété dans l'expression tout à fait bienvenus.

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