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Medea in Corinto de Johann Simon Mayr, une rareté à Munich

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas à l'Opéra de Bavière : le dimanche, on a pu voir un chef-d'œuvre populaire (Carmen) dans une production pour laquelle le mot de routine est trop faible, mais avec une distribution au-delà de tout éloge (Elīna Garanča et Jonas Kaufmann). Le lundi, c'est une œuvre presque inconnue qui fait ses débuts au Nationaltheater, comme l'équipe scénique réunissant et , avec une distribution de chanteurs honorablement connus, mais dont aucun ne suscite une attente particulière.

On peut lire dans le programme un entretien passionnant avec , un des grands aînés du théâtre allemand, qui s'est fait une belle réputation de provocateur chez les tenants les plus déterminés d'une conception traditionnelle de la mise en scène d'opéra. Neuenfels y explique notamment toute l'originalité du traitement du mythe de Médée par le librettiste Felice Romani, en situant l'opéra au point de rupture entre un domaine mythique auquel on ne croit plus et le monde quotidien de la vie sociale, qui ne rechigne pas à se revêtir des derniers lambeaux du mythe pour rehausser son prestige – d'où l'attachement de Créüse pour Jason. Romani fait partie des librettistes les plus connus de son temps, et si on peut comprendre les éloges de Neuenfels quant à la structure du livret, on ne peut s'empêcher de penser que ces qualités sont ruinées par son écriture qui, elle, ne dépasse jamais le domaine du convenu.

Bien sûr, d'autres ont su transcender ces faiblesses pour livrer quelques-uns des chefs-d'œuvre du bel canto : le Bavarois n'est pas de ceux-là, et le mince intérêt qu'on peut trouver à sa musique est d'être représentative de la production moyenne de son temps. Un autre article du programme prend grand soin à faire ressortir la modernité de l'œuvre, entre modulations ambitieuses et recours à des instruments concertants pour certains airs, mais les limites de l'œuvre n'en ressortent que plus : les modulations sont noyées dans la monotonie expressive de l'ensemble, et l'écriture concertante se limite à des formules toutes faites qui rendent le procédé bien vain. Mais le plus problématique est sans doute le manque constant d'inspiration mélodique, que ne vient pas compenser la direction parfois confuse d'. Ce dernier, très présent à Munich depuis de longues années, a contribué de façon aussi décisive que discrète à la réputation de la maison, et on se souvient de représentations enthousiasmantes sous sa baguette, que ce soit Cosí fan tutte ou Le viol de Lucrèce de Britten ; mais cette même tendance à la confusion (des couleurs, des plans sonores, des styles), qui est son défaut caractéristique les soirs de moindre inspiration, vient parfois gâcher le plaisir.

L'ennui que provoque cette musique peu inspirée n'est à vrai dire pas atténué par la distribution : Ramon Vargas surprend par un timbre terne et par une projection limitée, tandis qu' peine à rendre, avec une voix qui manque de liberté, le charme ambigu de sa fiancée. Le second ténor intéresse par la souplesse de sa voix, mais un rôle plus lyrique lui conviendrait sans doute mieux que ce rôle largement héroïque. Reste alors le cas particulier de , dont , directeur de l'Opéra depuis 2008, avait voulu sans grand succès faire l'étoile maison : sa caractérisation passionnée, son jeu soigné et réfléchi et son timbre extrêmement personnel lui assurent une généreuse ovation. Sans doute mériterait-elle qu'un compositeur amoureux de sa voix lui offre une Médée à sa mesure ; en attendant, ce qu'elle propose ici, avec son timbre qui reste celui de la mezzo qu'elle était jusqu'en 2005, a plus à voir avec une héroïne straussienne qu'avec les débuts fragiles du bel canto romantique.

Si une héroïne aussi engagée est assurée de recevoir une ovation, le nom de , lui, garantit des huées aux saluts finaux : elles furent présentes, d'autant plus que leur destinataire n'a pas masqué à quel point ce rituel des saluts l'indifférait, mais c'est sans doute le nom plus que le travail de Neuenfels qui les a suscitées. Si le travail de Neuenfels surprend, c'est en effet plutôt pour sa timidité. En dehors d'une représentation plus naïve qu'offensante de la violence d'État, Neuenfels s'attache de façon assez classique à humaniser le personnage de Médée, par exemple en un émouvant dialogue scénique avec la violoniste soliste (présente sur scène) de son premier air, tout en évitant avec soin les clichés de la princesse amoureuse pour sa rivale Créüse. Le beau décor à étages d', inspiré du Parlement de Vienne en travaux, organise de même l'espace avec efficacité, mais sans créer l'atmosphère inimitable que certains de ses décors les plus réussis avaient su donner. Le spectacle, filmé dès la première, est annoncé pour un prochain DVD : un beau décor suffira-t-il à retenir l'attention ? On ne peut manquer de rêver à la fusion des deux soirées successives : on aurait tout gagné à confier une nouvelle Carmen à Neuenfels et Viebrock tout en conservant la distribution proposée.

Crédit photographique : (Medea) © Wilfried Hösl

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