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Bon Bizet de Russie

Avec Tugan Sokhiev pour diriger Carmen, Valery Gergiev et le XVIIIème festival «Etoiles des nuits blanches» ont trouvé l'homme de la situation, aussi à l'aise avec le répertoire russe que français puisqu'il dirige l'Orchestre du Capitole de Toulouse depuis 2005.

L'ouverture est prise avec un panache berliozien, ce qui est de circonstance à Saint-Pétersbourg où le compositeur avait été reçu et fêté comme il ne l'aura jamais été en France.

La direction toute de couleurs et de panache de Sokhiev – on regrettera juste un décalage sérieux entre les chœurs et l'orchestre dans la lutte des cigarières – ne fait pas oublier l'essentiel, un plateau vocal entièrement russe d'un très haut niveau artistique. incarne Carmen : elle a tout le tempérament, la présence physique et l'abattage qu'on attend dans ce rôle, aussi à l'aise dans les airs lyriques que le parlando. Quelle(s) femme(s) ! est un Don José tout aussi crédible en «erreur de casting», un choix malheureux dans le jeu amoureux de Carmen attirée contre nature par ce modeste et juvénile brigadier. Hélas pour les deux principaux protagonistes, Micaëla et Escamillo arriveront trop tard pour empêcher le drame. Zhanna Dombrovskaya effectue une magnifique prise de rôle dans Micaëla, qu'elle élève bien au-dessus de sa condition de villageoise falote pour atteindre celle d'une héroïne de tragédie antique. C'est peut-être forcer un peu l'esprit du texte, mais ça sonne juste et comment ne pas donner l'absolution sans confession à la soprano qui à elle seule sauve l'acte III au lieu d'en faire un tunnel ? Finissons par le plus bluffant de tous, , Escamillo d'une classe sidérante, le seul artiste d'ailleurs qui sut dompter et faire tenir tranquille un public largement néophyte. Grand, mince, séduisant en diable, se jouant des difficultés de son air «Toréador, en garde !» comme le matador fait ses passes de muleta avant de donner la mort, il capte les feux de la rampe et convainc qu'il était bien le seul homme capable de satisfaire Carmen. Le reste de la distribution est très convaincant, Maxim Bulatov étant en deçà avec un timbre engorgé et une diction approximative dans le rôle anecdotique de Moralès.

Les décors et costumes s'inscrivent dans la tradition pittoresque rouge et jaune de l'Espagne, ce qui vaut mieux car les diversions ne sont guères convaincantes. Rien ne justifie que le lieutenant Zuniga soit afflubé d'un uniforme à grande capote nazi, et que vient faire ce grand globe en tubes de métal sur lequel sont suspendus cinq jambons secs? Est-ce pour signifier que ce n'est pas le sexe ni l'argent qui font tourner le monde, mais le Gran Serrano ?

Confronté à l'œuvre la plus populaire de l'opéra servie par une distribution de classe internationale qui donna le meilleur d'elle-même dans des conditions de chaleur éprouvante, le public répondit par des applaudissements chétifs. Terrassés par l'odyssée de l'Ermitage et l'ascension de la cathédrale Saint-Isaac, certains n'avaient plus la force d'applaudir. Saint-Pétersbourg, c'est plus fort que toi !

Crédit photographique : Carmen/ E. Semenchuk © N. Razina; Carmen © Théâtre Mariinski

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