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Jonas Kaufmann prophète en son pays

Scandaleuse dans l'automne new-yorkais, la nouvelle production confiée par trois grandes maisons à n'est plus à Munich qu'une mise en scène semblant déjà éprouvée par une longue présence au répertoire : le soir de la première, l'accueil indifférent réservé au metteur en scène avait donné le ton.

La popularité de l'œuvre et des interprètes principaux a sans doute suffi à contenter une bonne partie des spectateurs présents ; , dont les dernières productions lyriques ont souvent semblé trop timides, a réalisé un travail honnête, vivant, efficace, qui en d'autres circonstances lui aurait valu sinon l'enthousiasme, du moins l'indulgence des plus conservateurs comme des plus progressistes des amateurs d'opéra.

La question du sens n'est pas centrale dans le travail de Bondy ; on peut le regretter pour Tosca, une œuvre dont la profondeur n'est pas l'intérêt principal, mais qui éveille maint écho dans la mémoire historique du citoyen du XXe siècle : ce pouvoir instable, aux abois, aux mains d'intrigants sans scrupule couverts du voile des valeurs traditionnelles, il aurait été certainement intéressant de le faire vivre sur scène, sans qu'il soit pour autant indispensable de recourir à une transposition explicite. La seule réussite de Bondy dans cette direction concerne au premier acte l'Église, représentée comme la complice du pouvoir de fait ; pour le reste, Bondy se concentre comme toujours sur les personnages, avec l'aide pour les rôles principaux de trois chanteurs-acteurs d'une grande intensité : Bondy sait incontestablement leur faire trouver des gestes simples qui disent tout, ce qui n'est pas si mal après tout en un temps où l'incompétence et le manque d'imagination ne se privent pas de se recouvrir du masque du retour à une supposée tradition.

Lors de la première, seul parmi les acteurs principaux du spectacle, avait pleinement échappé aux huées ; en cette 5e représentation, le public est bien plus indulgent, en bonne partie à raison. Il n'aurait peut-être pas été totalement injuste que ait une part de celles adressées à Fabio Luisi qui dirigeait les représentations précédentes : la lenteur est un choix qui peut se justifier, mais elle peut parfois fragiliser le tissu musical (les dernières mesures du 2e acte n'en finissent pas), et surtout, à côté de moments émouvants (notamment au 3e acte), elle n'empêche pas une certaine confusion dans la construction des plans sonores qui donne une fâcheuse impression de désordre.

, plus connu comme wagnérien (et notamment en Hollandais pour le public munichois), ne convainc jamais pleinement en Scarpia : s'il prend bien soin de ne pas tomber dans une certaine noirceur caricaturale, si son interprétation ne manque pas d'une brutalité maîtrisée, elle n'est pas soutenue par la palette des couleurs qu'elle nécessiterait. Dans le rôle-titre, se bat elle aussi avec son rôle, abusant du parlando, détimbrant à l'envi, laissant en friche la diction et parfois la justesse ; c'est au fond les fragments d'une possible Tosca qu'elle livre au public, mais ces fragments sont passionnants, dans leur étrangeté intrinsèque comme dans quelques moments plus classiquement réussis, dont un»Vissi d'arte» à couper le souffle.

Si la participation de l'Opéra de Munich, peu enclin à accueillir des coproductions, à la création de cette Tosca avait pour but d'accueillir dans une maison qu'elle n'a guère fréquenté, c'est pourtant à que va soir après soir la plus grande ovation. Après avoir longuement attendu la reconnaissance dans sa ville natale, est désormais la pièce maîtresse du succès de la maison, et il triomphe en 2010 en Mario comme il l'avait fait en 2009 en Lohengrin. Les limites de la musique de Puccini ne lui permettent pas un travail aussi profond que pour le chevalier au cygne, mais elle n'en a que plus besoin du trésor de nuances qui font de Kaufmann un interprète unique : le début de»E lucevan le stelle», pianissimo et pourtant parfaitement audible, parce que soutenu par une technique imparable, fait penser à son»In fernem Land» de l'année précédente. Le timbre sombre de Kaufmann est celui du héros, tout à la fois vaillant et blessé – et voilà Puccini revêtu d'une aura de finesse comme il en a rarement eu.

Crédit photographique : (Tosca) & Jonas Kaufmann (Mario) © Wilfried Hösl

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