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Alessandro le grand conquérant…des cœurs

Certainement, l'opéra le plus rarement donné, Alessandro connut pourtant un grand succès à sa création notamment grâce à l'arrivée d'une nouvelle star italienne : Faustina Bordoni.

A l'occasion de la 28e édition du festival international d'opéra baroque de Beaune, le chef espagnol Eduardo Lopez Banzo a choisi une version tardive et plus resserrée de l'œuvre (qui écarte 2 petits rôles) datant d'une reprise révisée de 1732. Il est vrai que l'œuvre n'est pas franchement à la hauteur des chefs d'œuvres composés précédemment par Haendel (Giulio Cesare, Rodelinda, Tamerlano…) mais il s'agissait pour le compositeur de faire briller les 3 stars de l'époque : Senesino, La Cuzzoni et La Bordoni et ainsi faire sensation à Londres en mettant en parallèle les deux prime donne, rivalité qui allait bientôt culminer dans une légendaire empoignade en pleine représentation ! Contre toute attente, Haendel compose une musique peu héroïque pour Alexandre Le Grand, orientant davantage le personnage vers un conquérant des cœurs et concentrant tout le drame autour de ses amours indécises pour les deux princesses qui se le disputent.

Dans le rôle titre, la mezzo-soprano française (déjà à Beaune l'an passé dans le rôle de Rinaldo) excelle dans l'art du castrat avec sa voix androgyne, son timbre velouté, son caractère tendre et viril à la fois, couplés à une technique exemplaire qui culmine dans son air hautement virtuose «Vano amore, lusinga, diletto» de l'acte II, décochant les vocalises avec un aplomb déconcertant. Ses da capo sont inventifs et osés, et ses cadences confèrent panache et prestance à son personnage. Passionnante, est sans nul doute promise à une grande carrière baroque !

Dans les rôles de ses deux prétendantes, les sopranos Marita Solberg et Ann Helen Mœn rivalisent d'innocence, de désespoir et de rageuse jalousie dans pas moins de douze airs (dont un duo). Toutes deux vocalisent et chantent comme des rossignols et ont su séduire le public chacune à sa manière en agrémentant les airs de difficultés pyrotechniques comme dans : «No, più soffrir non voglio» ou «Tempesta e calma»…, et savent trouver des ressources inattendues quand nécessaire. Le choix des rivales est particulièrement réussi car elles sont presque interchangeables : toutes deux norvégiennes et blondes, dotées de voix claires et pures (celle de Solberg un peu plus corsée) avec des aigus faciles et bien ronds. Cette «gémellité» attise encore plus leur rivalité et contribue à rendre crédible l'indécision d'Alessandro. Malgré ces qualités elles n'ont pu cacher une interprétation parfois trop placide : on aurait aimé encore plus d'engagement.

Reste les deux rôles secondaires. Le contre-ténor italien Antonio Giovannini incarne un Tassile affecté, à la voix poussive ce qui le rend peu crédible en concurrent d'Alessandro et prétendant de Lisaura (il s'était montré plus convainquant dans le rôle de Tolomeo l'an passé). En revanche, campe un Clito de luxe et ne fait qu'une bouchée du rôle ! Timbre somptueux, voix solide comme un roc et flexible à souhait il est tout bonnement excellent !

L'ensemble de la distribution est soutenu avec efficacité par l'orchestre Al Ayre Español. Déjà apprécié l'année dernière dans Giulio Cesare du même compositeur, Eduardo Lopez Banzo et son ensemble confirment avec Alessandro, il est désormais l'un des meilleurs spécialistes de cette musique, favorisant des tempi modérés et créant la surprise par des effets de «mise en attente musicale» (cf. les pauses dans les airs «Che tirannia» et «L'amor che per te sento»). Enfin la (re)découverte heureuse de l'œuvre a bénéficié du cadre exceptionnel de la cour des hospices dont l'acoustique y est bien meilleure que dans la basilique, le tout au son des chants et cris des oiseaux !

Crédit photographique : © Delphine Galou

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