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Enfin une édition digne de l’immense Chaliapine

Le remarquable label new yorkais Arbiter d'Allan Evans nous est déjà familier par son extraordinaire édition de l'ensemble des gravures Polydor–France de Charles Tournemire en 1930 et 1931. Parmi les projets les plus ambitieux de ce label figure l'édition exhaustive, en ordre chronologique, de toutes les gravures 78 tours de l'illustre baryton-basse (1873-1938).

Elle est basée sur la collection la plus complète de Vladimir Gurvich, y compris des inédits non publiés par la firme His Master's Voice en Angleterre et son équivalente Victor aux USA. Cette vaste publication qui comprendra une douzaine de CDs en est actuellement à son cinquième volume, et disons d'emblée que la réussite de l'entreprise est totale, à condition bien entendu qu'elle soit menée à son terme dans les plus brefs délais.

Précisons également que les transferts sont réalisés le plus soigneusement avec dévotion et un respect intégral du contenu fréquentiel de ces cires vénérables, avec pour résultat un épanouissement de la voix du chanteur tel qu'on l'a rarement entendue auparavant, même s'il faut compter avec un bruit de fond continu que l'oreille et l'esprit assimilent toutefois très rapidement : n'oublions pas que certaines de ces gravures, notamment les plus anciennes qui remontent à 1902, ainsi que les inédits, sont d'une rareté absolue, et il était plus que temps qu'un éditeur les préserve enfin numériquement et de façon sérieuse pour notre plaisir et celui des générations futures.

Né le 13 février 1873 dans un quartier pauvre de Kazan, Féodor Ivanovitch Chaliapine doit d'abord exercer les métiers les plus divers pour subsister, ce qui le met en contact intime avec le peuple russe pour lequel il éprouve d'emblée une profonde sympathie qu'il saura si merveilleusement exprimer par après dans son art avec toute la noblesse qu'on lui connaît. Que ce soit dans le chant russe, italien ou français, il s'attache surtout aux personnages de caractère et à leur psychologie, tout autant par son génie d'acteur que celui de chanteur. Ses interprétations de Boris Godounov qu'il introduisit en pionnier notamment en Angleterre et en France avec les plus grands triomphes sont devenues légendaires pour l'éternité, et à juste titre d'ailleurs.

Mais il n'y a pas que Boris : Chaliapine s'imposa en Dossifeï dans La Khovantchina de Moussorgski ; en Prince Galitzki ou en Khan Kontchak dans Le Prince Igor de Borodine ; en Ivan le Terrible dans La Pskovitaine, et en Salieri dans Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov ; en Ivan Soussanine dans Une Vie pour le Tzar de Glinka ; en meunier dans Roussalka de Dargomijski ; en Holopherne dans la Judith de Serov ; dans Le Démon d'Anton Rubinstein… Et tout cela pour ne citer que l'opéra russe… Attiré par l'opéra français, il marque de sa forte personnalité le rôle de Méphistophélès dans le Faust de Gounod, crée le Don Quichotte de Massenet en 1910, et confie au disque, le 13 mars 1933, les fameuses Quatre Chansons composées par pour le film Don Quichotte de Georg Wilhelm Pabst, dans lequel Chaliapine incarne le héros à l'écran cette même année. S'agissant d'un artiste qui avait profondément marqué son époque, des funérailles sans précédent suivirent son décès à Paris le 12 avril 1938.

Le volume 5 du legs discographique de Chaliapine, qui comme les précédents concerne uniquement des gravures acoustiques réalisées avant l'avènement du procédé microphonique, couvre la période 1921-1923, celle où le chanteur réalisa ses enregistrements alternativement en Angleterre et aux USA. Parmi elles, nous retrouvons bien évidemment ses rôles de Boris et de Galitzki, sans oublier le Chant du Viking de Sadko. L'opéra italien n'est pas oublié : Il Barbiere di Siviglia, Don Carlos, La Sonnambula, Mefistofele ; ni d'ailleurs quelques mélodies de Koenemann, Glinka, Moussorgski, Beethoven, Schumann. C'est par ailleurs aussi l'occasion de retrouver des chefs d'orchestre dont certains sont bien oubliés : , George W. Byng, Josef Pasternack ou .

Un intérêt supplémentaire – et non des moindres – de ce disque est de nous offrir le très grand talent de Chaliapine en tant qu'acteur, dans la déclamation d'un texte du poète russe Semyon Nadson (1862-1887) : il s'agit du seul témoignage connu de la voix parlée de l'illustre chanteur, d'une expressivité à fleur de peau.

Après l'audition d'un tel disque, on attend impatiemment la suite de cette imposante édition. Précisons également que les quatre premiers volumes concernent respectivement les années 1902-1908 (Arbiter 125), 1908-1911 (Arbiter 126), 1911-1913 (Arbiter 127) et 1913-1921 (Arbiter 132).

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