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Radu Lupu, poète de Beethoven

«L'Empereur» ! La dénomination pompeuse de ce concerto en a fait, aux cours de sa carrière, une œuvre emblématique pratiquement incontournable de la démonstration éclatante du déclamatoire fait piano. Comme si l'œuvre de Beethoven voulait refléter ce qu'on sait du compositeur ou comme si d'en faire une interprétation brillante avait pour but de redorer le blason de Napoléon. semble vouloir tourner le dos à cette imagerie facile et devenue traditionnelle pour donner une lecture plus poétique, plus intérieure de l'œuvre de Beethoven. Chassées les lourdeurs appuyées, gommées les attaques martelées, les découpes hachées. Dans sa conception, il favorise le lyrisme, le legato donnant à son discours musical une finesse, une clarté, une poésie jusqu'ici jamais entendue dans ce concerto.

Que de subtilités dans la retenue qu'il impose à ce premier mouvement où, grâce à un toucher sans emphase, il contraint l'orchestre à se plier à ses phrasés aux couleurs pastel. D'une arabesque levant son bras pour imprimer un départ, une nuance, il emmène l'orchestre dans son poème. Bientôt, ce n'est plus qu'un seul instrument qu'on entend. Un instrument dont le piano est un élément, complément coloré d'une même symphonie. Le sublime second mouvement, cet adagio génial où chacun attend l'émotion reste dans l'esprit des impressions que a imprimé dans le premier mouvement. Juste qu'ici, on ne respire plus de peur que le bruit d'un souffle ne vienne troubler la beauté des plages de musique, comme un tapis d'harmonie. Alors, comme dans un opéra quand Callas entonnait Casta Diva, offre son chant inspiré, totalement habité. Chacun en connaît la mélodie mais, à travers l'interprète, elle est chaque fois réinventée. Les doigts continuent de courir sur le clavier alors que, le visage tourné vers l'orchestre, il invite les musiciens à le joindre dans son monde. Et un final enfin où le pianiste ne brille qu'à travers l'œuvre qu'il sert. Point de traits, point de brillances inutiles, point d'esbroufe, point de gestes théâtraux, seule la pertinence non feinte d'une grande authenticité artistique.

A la tête d'un en bonne forme, , visiblement conquis par la personnalité imposante de Radu Lupu, laisse au soliste le soin de modeler les nuances de son orchestre. Avec une grande et belle écoute, le chef se borne à colorer son ensemble en le conduisant vers le chant du piano dans de subtils diminuendo pour ne pas casser la ligne mélodique.

Surpris par cette interprétation sortant des chemins habituels, par cette communion musicale, par la finesse poétique, le public peine quelque peu à s'enthousiasmer pour l'œuvre d'art à laquelle il vient d'assister, les applaudissements s'adressant à la notoriété des interprètes plus qu'à l'expression de leur art.

Si le Concerto pour piano n°5 de Beethoven a permis d'apprécier la souplesse retrouvée d'un attentif, avec la Symphonie n°15 de Chostakovitch jouée en deuxième partie du concert, offre une palette de couleurs orchestrales montrant les indéniables progrès accomplis depuis qu'il a pris les rênes de l'ensemble romand. Si son interprétation reste très sage par rapport à l'humour que l'œuvre suggère, une prudence excessive portant l'auditeur vers une certaine indifférence, on peut apprécier les quelques interventions de quelques têtes de pupitres. A l'image du violoncelle incroyablement juste et toujours captivant de François Guye, véritable Monsieur Haute Fidélité de l'ensemble romand puisque ce lauréat du Concours de Genève de 1979 y est attaché depuis plus de trente ans.

Crédit photographique : Radu Lupu © DR

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