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Le Concertgebouw passe le mur du Jansons

d'Amsterdam

Heureux Amstellodamois qui ont à domicile une salle, un orchestre et un chef en osmose pour leur donner ce qui se fait de mieux aujourd'hui en matière d'expression orchestrale – notre collaborateur Patrick Montaigu ne s'est pas encore remis depuis 2007 de son doublé Mariss Jansons à Amsterdam et Berlin.

Alors que Christoph von Dohnány venait à Paris en septembre dernier célébrer les liens particuliers entre l'Héroïque et la France, Jansons à la tête de l' avait lui aussi ce soir dans Leonore III quelque chose de français, avec une gestique d'un panache tout bonapartiste, celui du général haranguant ses troupes, du libérateur ouvrant le ghetto juif de Venise. Sur le plan sonore, on reconnaît toute la splendeur du son de l'orchestre, dense, soyeux dans les ensembles, avec des interventions solistes des vents qui émergent des pupitres avec toute l'individualité et le relief réservé d'ordinaire à la meilleure musique de chambre.

Chute de tension avec Taras Bulba. Dans cette rapsodie pour orchestre qui ne demande qu'à déconcerter, à surprendre, à rafraîchir par sa gouaille paysanne et son alacrité, Jansons romantise le propos et fait reculer Janáček de quarante ans en arrière. Les couleurs de l'orchestre sont sans doute superbes, mais la musique de Janáček est d'abord affaire de langue et de rythme, et la ramener aux élans pastoraux de la Bohème de Smetana est manquer l'essentiel.

Tout est oublié avec la Symphonie n°4 de Tchaïkovski. Dès les premiers accords des cuivres et la conclusion cinglante de l'introduction, rappelle à tous quel maître de la direction il est. Dans les accélérations du premier mouvement, il donne l'impression de nous emporter collectivement et de nous faire entrer dans l'air comme dans une matière devenue solide. Jansons retrouve un sens théâtral dans son expression corporelle, tantôt officier militaire (encore ! mais avec une énergie terrienne et propre à conquérir les steppes), tantôt théâtral comme un ténor. Au terme du premier mouvement, le public s'ébroue bruyamment, comme pour se libérer du choc qu'il a subi, avant de très rapidement retrouver un silence religieux pour entendre l'introduction magique du hautbois d' – le chef admiratif lui remettra un bouquet de fleurs au terme du concert.

Nous sommes ici à un sommet interprétatif, à la hauteur des grands anciens, Mravinski-Leningrad (DGG) ou Furtwängler-Vienne (Tahra). La virtuosité collective (les vagues de pizzicati du troisième mouvement) et individuelle (tiens, les vents retrouvent la verdeur qu'ils avaient perdu dans Janáček !) sont au service de l'expression. La douleur reste digne, les élans du cœur sont dépourvus de sentimentalisme, et le final triomphe, oui peut-être mais dans un double langage comme le développera Chostakovitch dans ses symphonies, c'est à la cravache et cela vous glace. Le public, en connaisseur, salue debout.

Crédit photographique : © Mattias Schrader

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