- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Armida à Berlin : A la recherche de Gluck

L'Opéra-Comique de Berlin fait partie des rares maisons européennes à persister à traduire dans la langue du pays l'ensemble du répertoire lyrique, à partir de traductions toujours nouvelles.

Cette démarche avait un sens pour faciliter l'accès populaire à l'opéra avant l'invention des surtitres, elle n'en a plus guère aujourd'hui. Dans le cas de la présente production, elle conduit même l'ensemble de la production à la catastrophe : en partie en raison d'une traduction inadaptée, en partie en raison de la diction très insuffisante de beaucoup de solistes, le texte allemand est presque entièrement incompréhensible, et le spectateur est confronté à un choix cornélien entre la mise en scène et le texte, qu'on peine à suivre en même temps que le spectacle en raison du choix de la maison de supprimer le surtitrage habituel au profit d'un dispositif individuel placé beaucoup trop bas. Pire encore, cette traduction d'une œuvre qui leur est sans doute d'emblée peu familière conduit les chanteurs à torturer la ligne vocale écrite par Gluck, à tel point que même les grands moments de l'œuvre sont largement méconnaissables : ce qu'on entend ici est une autre partition, beaucoup plus monocorde que l'original dont elle ne respecte ni les valeurs rythmiques, ni les hauteurs.

Dans ces conditions, il n'est pas possible de commenter les performances individuelles des chanteurs ; seul l'orchestre dirigé par , qui montre bien ce qu'un chef compétent peut tirer dans ce répertoire de musiciens jouant sur instruments modernes, vient seul donner par moments quelques effluves du style français de Gluck. C'est néanmoins la mise en scène qui parvient le plus constamment à retenir l'attention. L'intendant et metteur en scène doit le succès local et international de son intendance à sa décision d'engager quelques-uns des plus grands talents de la mise en scène lyrique d'aujourd'hui : en est sans aucune doute une figure clef.

Créée en 2009, cette production concentre son attention sur la figure d'Armide : en cette femme pour qui l'amour n'est jamais une chose simple et auquel elle ne croit pas même quand il est là, Bieito voit la figure de la femme – de l'homme – moderne, à laquelle répond en contrepoint un couple âgé et nu, Adam et Ève illustrant l'innocence de l'amour en même temps que son isolement du monde moderne (ils n'ont pas le moindre regard pour les autres personnages) : aux doutes du monde d'aujourd'hui, au sentiment que rien n'est simple et qu'on est soi-même l'obstacle à son propre bonheur, Bieito oppose ainsi le souvenir de la liberté, illusoire ou réelle, de l'époque soixante-huitarde. Dans le décor de Rebecca Ringst, très élégant mais moins virtuose que d'autres de ses travaux pour Bieito, Armide vit sous le regard de tous, à commencer par ses confidentes de tragédie, sorte d'opinion publique qui peut faire penser à Offenbach comme au monde des réseaux sociaux d'aujourd'hui. Pour que les nombreuses pistes tracées par la mise en scène semblent aboutir quelque part, il ne manque finalement qu'une seule chose : la musique de Gluck. Dommage pour la cause de la tragédie lyrique, toujours en retard dans les pays germaniques.

Crédit photographique : © David Baltzer (2009, avec )

(Visited 2 166 times, 1 visits today)