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Le Beethoven de chambre signé Haitink

Décidément les intégrales Beethoven continuent de fleurir en pleine période de Mahlermania, puisqu'après Gardiner, Jarvi, Thielemann, et sans remonter à la fin de mandat de Kurt Masur avec le National, voila remettre l'ouvrage sur le métier accompagné du , avec qui il a entamé une étroite collaboration, puisque, outre ce cycle Beethoven dont la seconde moitié sera donnée en février et mars 2012, une série Brahms est également en cours.

Arrivé à un moment de sa carrière où il n'a plus rien à prouver, peut se permettre de jouer ce qu'il veut, comme il en a envie, pour son plaisir. Ainsi, après sa période glorieuse avec le Concertgebouw, il repris le corpus beethovénien avec le London Symphony Orchestra au milieu des années 2000, renouvelant nettement sa vision vers un style réactualisé plus en vogue aujourd'hui, pour aboutir aux présents concerts où le grand orchestre symphonique cède la place à un orchestre de chambre quand même étoffé, puisqu'utilisant quarante cordes basées sur quatre contrebasses, vents par deux et timbales, soit un effectif de cinquante trois instrumentistes (aux détails d'orchestration de chaque symphonie près).

Pour cette série est resté sur sa lancée du virage «moderniste» (pour faire simple) effectué lors de l'intégrale LSO, pour aller, comme il le dit lui-même vers «un son léger et transparent, dans un tempo vif». Et c'est aussi à cela qu'on reconnait les grands chefs, car ils font et réussissent, comme ici, exactement ce qu'ils annoncent ! Mais qu'on se rassure, le style de toujours de ce chef, fait de simplicité, rigueur, pudeur et de probité, ne s'est pas perdu avec le temps et nous l'avons retrouvé à son meilleur lors de ces deux concerts où aucun excès d'aucune sorte n'était perceptible, en même temps que cela en constituait sans doute aussi les limites. Sa direction à la fois propre et nette laissait à l'évidence certaines libertés aux instrumentistes comme on put s'en rendre compte avec des cordes au vibrato globalement parcimonieux mais où il semblait que chaque instrumentiste décidait du sien indépendamment de ses voisins, ainsi qu'avec le duo flûte hautbois, la première exemplaire de droiture et de simplicité (à notre sens l'idéal pour la musique de Beethoven), alors que le second s'autorisait plus de fantaisies, dans les limites du raisonnable quand même, ce qui nous donne l'occasion de saluer un formidable pupitre de bois, expressif d'un bout à l'autre. Profitant d'un orchestre allégé, le chef fit entendre un staccato clair et maîtrisé soutenant sans ostentation la pulsation sans sacrifier le legato dans les longues phrases, ce qu'un orchestre baroque a toujours plus de mal à atteindre.

Du coup on ne s'étonnera pas que le ton général de ces interprétations fût assez classique, lorgnant vers la musique pure sans arrière pensée dramatique ou anecdotique, favorisant la régularité de la pulsation et l'avancée rectiligne comme la propreté de la réalisation instrumentale, points forts de ces exécutions, au détriment de l'épique ou du philosophique, totalement absents. Comme c'était fort bien fait, léger et vif, comme annoncé, c'était plaisant à entendre, mais finalement, ne l'était-ce pas que seulement ? Les tempi choisis étaient assez allants mais assez peu contrastés, et ce quelque soit la symphonie. Ainsi les quatre mouvements de la Symphonie n°8 auraient pu être plus différentiés, surtout dans une œuvre dépourvue de mouvement lent, dont celui qui en fait office, le fameux Allegretto scherzando était franchement speedé, le rendant ainsi mois savoureux. L'Allegro con brio initial de la plus célèbre cinquième de l'histoire fila droit sans qu'on ait le sentiment que sa géniale coda surpassait en intensité tout ce qui avait précédé, et là il faut aussi reconnaitre que les cordes au taquet depuis un moment ne pouvaient pas en donner plus (elles ne feront pas mieux dans l'Héroïque). Le plus troublant fut finalement le second concert où s'enchaînaient les symphonies n°2 et n°3, reproduisant devant nos yeux et nos oreilles un des big bangs de l'histoire de la musique, car entre les deux, Beethoven, sans changer d'effectif orchestral (juste un troisième cor ajouté) révolutionna totalement la symphonie. Et à part la durée des mouvements, cette révolution ne s'est pas vraiment fait sentir, on est resté sur le même ton, agréable, poli, élégant, sans monter d'un cran. C'est quand même un peu frustrant. Il faut bien reconnaître que vouloir faire «léger, transparent et vif» tout le temps a forcément un inévitable effet d'uniformisation, entre les symphonies et même à l'intérieur de chaque mouvement. Haitink aujourd'hui, comme Gardiner hier dans la même salle mais sans les baisses de régime de ce dernier, n'ont pu l'éviter.

Crédit photographique : Bernard Haitink © Fred Toulet

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