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Valery Gergiev, une petite demie heure de génie pour Rodion Chtchedrine

Le Grand Théâtre de Genève était archi bondé pour assister à l'événement musical de ce début d'année : et l'Orchestre du Théâtre Mariinski ! Annoncé, il y a à peine une quinzaine de jours, les billets de ce concert se sont arrachés à la vitesse de ceux d'un concert de Johnny Hallyday ou de Prince !

Pour l'occasion, on avait repoussé les décors de l'opéra I Puritani donné en ce moment sur la scène genevoise pour faire place à l'orchestre. Occupant toute l'ouverture de scène, cette disposition n'était peut-être pas la plus judicieuse pour apprécier le son de cet ensemble devenu l'une des phalanges les plus intéressantes du monde des orchestres symphoniques depuis que le chef ossète en a pris les rênes en 1988. Une disposition qui a certainement pu avoir une influence sur l'impression laissée par une 4ème Symphonie de Tchaïkovski paraissant parfois brouillonne. Encore que les autres pièces au programme n'ont aucunement souffert de ce placement de l'orchestre.

A l'image du sublime pianissimo de l'ouverture de la Khovantchina de Moussorgski. Quelle finesse, quelle sensibilité. Une qualité d'interprétation jusqu'ici jamais entendue. Voilà à peine trente secondes que ce concert a débuté que déjà, l'incroyable capacité d'émouvoir de fait son œuvre. On reste saisi par l'intensité avec laquelle ces quelques premières notes de musique sont jouées. Un climat suspendu. Avec sa musique, sa manière de raconter, Gergiev nous emmène sur un plan subtil, dans l'univers si particulier de l'âme russe. Derrières ses couleurs orchestrales défilent les somptueux costumes des nobles de la cour du tsar, les parures chatoyantes des dames de compagnie et leurs bijoux fastueux. Six minutes d'une musique extraordinaire qui, à elle seule, justifie qu'on se pâme pour le talent de .

Portée par l'intensité du propos musical de l'orchestre et de son chef, entonne alors l'air de La Divination de Marfa. La mezzo impose sans tarder l'autorité sonore d'une voix magnifique et puissante. Elle projette ses mots avec une telle clarté d'articulation qui donne à chacun le sentiment de connaître la langue russe. Avec ses graves profonds, ses aigus de bronze, domine sa vocalité avec une aisance déconcertante. Tout au plus faut-il relever que cette apparente facilité, cette parfaite technique vocale semble avoir pris le pas sur l'authenticité interprétative qu'on lui avait connue dans ses précédents récitals genevois. Une impression qui se confirme avec les deux airs de Samson et Dalila bien chantés certes, mais dénués d'émotion. Il est vrai que les premières émotions laissées par la mezzo russe, c'était il y a une quinze ans !

Après l'entracte, Gergiev et son Mariinski présentent une 4ème Symphonie de Tchaïkovski assez inégale. Moins inspiré, le chef russe donnait l'impression qu'il voulait d'autres sonorités, d'autres phrasés, d'autres couleurs que celles qu'il offre habituellement dans ses interprétations des symphonies de Tchaïkovski. Avec ces quelques inhabituels flottements, ce moindre investissement, un manque de rigueur inaccoutumé laisse par moments, l'effet d'une répétition d'orchestre. Souvent plus bruyant que forte, Gergiev perd le lyrisme de cette symphonie et presse le mouvement comme s'il voulait en finir vite.

En guise de bis, un extrait d'une page orchestrale de l'opéra The Enchantered Wanderer de , un compositeur que Valery Gergiev chérit particulièrement. L'humour musical, le rythme, les fulgurances, qui parsèment les pages de cet héritier de Chostakovitch permettent de retrouver le bonheur d'une interprétation enjouée et dynamique. Avec l'immense palettes de sons de cette partition, Gergiev s'en donne à cœur joie pour pointer les jaillissements de cette musique.

Une petite demie heure de musique enthousiasmante sur toute une soirée, cela peut sembler peu mais, quand cette enthousiasmante demie heure vous chavire, qu'on touche au génie, c'est largement payé.

Crédit photographique : Valéry Gergiev © DR

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