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La carte de visite de Fabio Armiliato

À ceux qui se plaignent que les grandes voix n'existent plus, on aimerait rétorquer que les grandes voix, aujourd'hui, n'intéressent plus, ou plutôt ne passionnent plus.

En effet, à une époque où les stars du lyrique sont des stylistes qui ont pour nom Bartoli, Kozena, Florez ou Jaroussky – pour ne citer qu'eux – il faut bien reconnaître que les bêtes de scène de l'opéra vériste ou du grand opéra verdien, celles qui, comme s'en vantait autrefois la Tebaldi, perdaient deux à trois kilos par représentation, n'ont plus véritablement le vent en poupe. Signe des temps, une production assez récente du Ballo in maschera à la Bastille, qui mettait face à face le Riccardo de Raymond Vargas – pourtant annoncé souffrant ! – et l'Amelia d'une tonitruante, a montré toute la supériorité musicale et interprétative des voix souples, légères et bien timbrées par rapport aux canons à décibels de l'ancien temps.

Parmi les ténors du moment, le cas est sans doute représentatif de cet état de fait, et on peut gager que dans les années 40, 50 et 60, à l'époque où l'on comptait encore un Mario del Monaco parmi les grands chanteurs de son temps, ce valeureux ténor aurait sans doute davantage qu'aujourd'hui attiré l'attention de la critique. Apprécié aux Etats-Unis, fêté en Italie, où le couple qu'il forme à la ville et à la scène avec la soprano Daniella Dessi attendrit les cœurs de la presse «people», ce ténor écume les scènes de la péninsule tout en suscitant l'agacement des puristes par son chant toujours vaillant et carré, mais tristement dépourvu de subtilité. Et pourtant, c'est qu'il en faut, de ces vaillants troupiers capables d'enfiler soir après soir les Radamès, les Andrea Chénier, Mario Cavaradossi et autres Calaf du répertoire, et la brillante carrière scénique de , notamment en Italie, à Vienne et à New York, montre que le monde lyrique a encore grand besoin de voix comme le sienne. L'allure svelte du chanteur rend par ailleurs ses incarnations physiquement et théâtralement crédibles.

Était-il pour autant nécessaire de confier au disque ce florilège d'airs rebattus par tous les concurrents ? La comparaison avec la plupart des autres ténors est accablante, et on se lasse très vite de ce chant athlétique, monochrome et sans charme, avant tout fondé sur la puissance d'une voix au timbre assez sec et sur l'éclat d'un aigu donné dans la force, et malheureusement dénué de toute souplesse. Si le début de ce CD présente encore l'intérêt de faire entendre quelques airs de Puccini moins connus – Edgar, Le Villi –, l'attention flanche dès l'arrivée des grands tubes du répertoire, que l'on a entendu ailleurs chantés avec davantage de panache et d'imagination. On observera cependant, dans toute cette uniformité, un goût plutôt sûr, marqué notamment par l'absence des sanglots et portamenti intempestifs parfois caractéristiques de ce répertoire, et l'on se réjouit qu'il existe encore de tels chanteurs pour assurer le traintrain des grandes scènes lyriques.

Ce disque servira ainsi de jolie carte de visite à tous ceux qui auront le goût de découvrir un chanteur assez peu intéressant sur le plan artistique, mais incarnant une routine dont certains, apparemment, ont aujourd'hui la nostalgie.

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