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Thank you Mister Nott

Thank you Mister Nott : c'est le message de sympathie délivré par l'un des chanteurs à l'issue du troisième mouvement de la Sinfonia de Berio que l'on entendait ce samedi soir à la Cité de la Musique ; message adressé au chef en train de diriger dont Berio tenait à saluer la performance. Celle de était en effet de taille qui donnait à entendre les compositeurs italiens Nono et Berio dont les deux œuvres d'envergure au programme entraient en résonance avec le cycle «Le Pacifisme» à l'affiche de la Cité de la Musique du 1er au 10 Avril.

Chef titulaire de l' de 1995 à 2000, aujourd'hui à la tête de l'Orchestre Symphonique de Bamberg, revenait, le temps d'un concert, pour diriger les Solistes de l'Ensemble et l'Orchestre du Conservatoire National Supérieur de Paris réunis pour une nouvelle et fructueuse collaboration.

Le titre de la pièce de , No hay caminos, hay que caminar… Andrej Tarkovskij (1987) – dédiée au cinéaste russe qui venait de disparaître – provient d'une inscription sur le mur d'un cloître de Tolède : «Il n'y a pas de chemin, il n'y a qu'à marcher» que le compositeur commente ainsi : «c'est le Wanderer de Nietzche de la quête perpétuelle, du Prométhée de Cacciari. C'est la mer sur laquelle on va en inventant et en découvrant sa route» ; belle image de l'esprit libre en quête d'inouï dont s'empare Nono pour écrire sa dernière pièce d'orchestre. Elle est conçue pour sept groupes instrumentaux faisant cercle autour du public. Mais l'univers sonore est ici très raréfié, ne laissant émerger que quelques îlots de sons d'un espace silencieux et presque oppressant : aventure risquée – pour l'orchestre des jeunes comme pour le public – en ce début de concert où l'écoute est sans cesse fragilisée par les toux intempestives et autres nervosités d'un auditoire trop peu concentré pour laisser apprécier chaque morphologie sonore comprise dans cette constellation mouvante et atomisée.

Plus profuse et spectaculaire, la Sinfonia de Berio (1968-69) est une commande du Philarmonique de New York dont le chef titulaire était alors Leonard Berstein à qui l'œuvre est dédiée. Elle est crée en quatre mouvements auxquels Berio ajoute l'année suivante un finale, pour concurrencer peut-être la «deuxième» de Mahler qui guide son inspiration.

Sinfonia est une pièce unique autant qu'emblématique des années 60 dans laquelle Berio fait converger une somme de réflexions nourries par ses lectures de Joyce, par la problématique de l'œuvre ouverte, par son travail dans le studio électroacoustique de Milan et son désir jamais assouvi d'embrasser la totalité des sources et la pluralité des genres qui tournent dans sa tête multiple. Tel est le sens du mot Sinfonia («qui sonnent ensemble») rejoignant la liste des titres archétypaux qu'affectionne Berio comme Coro ou Opera.

L'orchestre au complet – pupitres par 4 avec percussions, clavecin, orgue, piano et synthétiseur en sus – accueillait sur le devant de la scène, micros en main, les (New) Swingle Singers, huit voix mixtes, tout à la fois chanteurs et récitants, pour qui l'œuvre a été écrite.

L'interprétation repose ici sur différents critères tels que l'équilibre des masses, la réactivité de l'orchestre et la fusion de matériaux hétérogènes dans un timbre inouï qui fait la singularité de cette écriture. Autant d'objectifs atteints ce soir dès le premier mouvement par , grand spécialiste de ce répertoire, au geste flexible et à l'oreille infaillible, qui semble dominer ce maelström sonore avec une aisance confondante. Saluons le travail extraordinaire des étudiants – coachés par leur chef de pupitre – qui assument avec brio ce parcours labyrinthique.

Après l'émouvant O King, sorte de rituel funèbre en hommage à Martin Luther King assassiné en 1967, le troisième mouvement éminemment virtuose, In ruhig fliessender Bewegung («dans un mouvement calme et fluide») concentre le maximum d'intensité. Il s'élabore sur la trame discontinue mais prégnante du Scherzo de la Symphonie n°2 de Mahler. Avec leurs grains de voix singuliers – quoiqu'un peu trop sonorisés – les Swingle Singers y intègrent leurs fredons, slogans et citations (Berio y fait lire des extraits de L'innommable de Beckett) tandis que l'orchestre, évoluant dans un espace totalement éclaté, accueille quelques 25 citations – plus incrustations que collages – de Bach à Boulez dont Berio nourrit sa texture orchestrale dans un flux continu traversé de relances spectaculaires. Si la virtuosité des interprètes est largement sollicitée, la performance du chef tient du prodige!

Crédit photographique : Jonathan Nott © Thomas Müller

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