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Ermonela Jaho, bouleversante tragédienne dans Luisa Miller

Dans son introduction à Luisa Miller, l'Opéra de Lyon annonçait que , un metteur en scène politiquement incorrect, allait nous rappeler que l'oppression des humbles par les puissants n'avait pas d'âge.

Si l'opéra de Verdi, trop souvent oublié de nos scènes, raconte cela, la scène lyonnaise ne donne que rarement cette impression. Au lieu de s'attacher à montrer cet asservissement, ne réussit qu'à déranger le spectateur avec l'introduction de ridicules et inutiles ballets mécaniques des membres du chœur. Au lieu de caractériser les différences sociales, il les fait vivre dans des ambiances noires, des décors sans inventivité. Il ne suffit pas de faire chanter ses protagonistes devant un rideau rouge ou un fond de scène tendu d'un rideau métallique pour nourrir l'illusion théâtrale de différences sociétales.

Après une ouverture plus bruyante que saisissante, le rideau s'ouvre sur une scène vide. Au beau milieu de celle-ci, un lit où Luisa Miller semble dormir. A moins qu'elle ne soit en train d'agoniser. Ou encore qu'elle soit malade. Mais, il n'en est rien. Elle est là. Là, parce qu'on ne sait pas où la mettre. Arrive ce qu'on apprendra être son père traînant un étal de boucher qui s'avère ensuite être l'établi d'un luthier. Etrange luthier, gauche, raide, limant nerveusement d'hypothétiques morceaux de bois. Sur le fond de scène, un rideau métallique gris se lève soudain laissant apparaître une foule de gens qui, devant ce lit, se met à danser sans qu'on comprenne les raisons de cette apparente gaieté. Luisa Miller ressuscite !

Au bout d'une demie heure de va-et-vient scéniques, de verres qu'on se verse et qu'on boit alors qu'il est évident que les bouteilles et les verres sont vides, rien dans la démarche du metteur en scène ne laisse entrevoir que les enjeux entre les protagonistes vont se clarifier. Chacun chante pour soi, et surtout, il semble que le mot d'ordre soit de surtout ne pas s'occuper de son interlocuteur. Non, décidément, tout cela est bien confus et de coller les yeux aux surtitres (trop haut placés à l'Opéra de Lyon) pour saisir ce qu'on se raconte sur scène devient vite lassant. Alors, de guerre lasse, on se retranche sur l'écoute de la musique et des chanteurs, tous (ou presque) excellents.

Au premier rang desquels, la soprano albanaise (Luisa) se révèle une tragédienne hors pair. Après un début un peu timide (l'air et la cabalette du premier acte sont un véritable piège à soprano !), elle prend peu à peu confiance en ses capacités pour illuminer la scène d'une voix aux couleurs variées dont les pianissimis dénotent sa parfaite maîtrise technique. S'investissant dans son personnage avec générosité, elle joue de la voix et du corps. Une expressivité corporelle dont l'apogée s'inscrit dans les derniers instants de l'opéra quand, dans un duo bouleversant avec son père, la soprano se laisse emporter par l'émotion pour terminer sa prestation les yeux baignés de larmes.

A ses côtés, le baryton (Miller) affirme un instrument solide même si parfois un peu dur. Un peu plus de douceur vocale, de legato, lui aurait conféré une approche plus humaine d'un père à sa fille.

Le ténor (Rodolfo) est un artiste de passion. De passion théâtrale à voir comme il s'enflamme dans son jeu. Un jeu parfois excessif, laissant éclater des gestes théâtraux extrêmes pas toujours du meilleur effet, il emporte son instrument vocal dans ses démesures scéniques. Un artiste de passion vocale qui ne ménage aucunement sa voix, allant jusqu'à la pousser en dehors des rails. Une voix qui lui joue encore des tours mais, le ténor a le mérite de s'engager totalement dans son chant, lui conférant une vie et une réalité qui fait l'apanage du chant italien.

Si la soprano (Laura), issue du Chœur de l'Opéra de Lyon, surprend très agréablement avec une voix claire et parfaitement posée, on reste plus réservé quant à la prestation des autres rôles. La basse russe Alexey Tikhomirov (Wurm) est l'intrigant de service, mériterait d'imprimer une voix plus autoritaire, plus noire à ce rôle. La basse italienne Riccardo Zanellato (Il Conte Walter) manque de volume et de couleurs, tout comme la mezzo Mariana Carnovali (Federica).

Dans la fosse, si les premiers accents de l'orchestre de l'Opéra de Lyon confondent énergie avec volume sonore, la baguette de Kasushi Ono réunit bientôt ses troupes pour les ramener dans le lyrisme d'une œuvre verdienne d'une belle tenue musicale.

Crédit photographique : Riccardo Zanellato (Il Conte Walter), (Luisa), (Rodolfo) ; (Luisa), (Rodolfo) © Jean-Louis Fernandez

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