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Les deux visages de Buchbinder

Sous la baguette de , revisite deux monuments de la littérature pour piano et orchestre : les concertos de Brahms, enregistrés en direct à Tel-Aviv avec l'. On aimerait s'enthousiasmer pour la version très personnelle qu'il en propose, mais les sommets atteints en quelques occasions ne font pas oublier la pente qui les suit, et qu'il dévale malheureusement à répétitions.

Un orchestre assez neutre ouvre le Concerto n°1, manquant peut-être d'un peu de majesté (maestoso !), mais introduisant convenablement la partie piano. Les premiers accords sont d'une grâce magnifique. Le développement du thème est tout aussi délicat ; Buchbinder semble à peine effleurer son clavier et pourtant, sa voix nous parvient avec une facilité miraculeuse. Mais dès que la partition s'anime, invite le piano à plus de fougue et fait intervenir davantage l'orchestre, l'interprétation change complètement. Buchbinder se cabre, devient agressif et durcit ses attaques. Accords plaqués, sécheresse des sonorités : il nous rappelle douloureusement que le piano est un instrument à marteaux ! Dans l'Adagio, Buchbinder se replonge dans le mœlleux divan des débuts ; décidément, ce sont les pianissimi qui lui réussissent. Ce mouvement passe comme un songe éveillé, les vents relevant parfaitement le beau motif central. Mais, comme on pouvait s'y attendre, le Rondo final fait grincer des dents plus d'une fois : caverneux dans les graves, strident dans les aigus, le piano de Buchbinder supporte mal les acrobaties imposées par le jeune Brahms.

Avec le Concerto n°2, œuvre de la maturité, le résultat est tout autant mitigé. Au cœur d'un orchestre riche en nuances, ultra sensible aux indications de Metha, le piano ressort comme un bloc de pierre brut, massif et sans aspérité. Le jeu de Buchbinder est d'une virilité impressionnante et même un peu intimidante. On peut comprendre cette vision inhabituelle de l'œuvre, d'autant qu'elle se prête assez bien aux deux premiers mouvements ; mais le premier concerto a montré que Buchbinder avait une tendance à raidir le poignet hors de propos. Après avoir martelé les deux Allegro, il s'apaise dans l'Andante et retrouve la tendresse dont il avait déjà preuve dans l'œuvre précédente. C'est dans l'Allegretto grazioso que les pires dégâts sont causés : une main gauche vraiment trop lourde ôte au titre de ce dernier mouvement la moitié de son sens. En revanche, on apprécie jusqu'au bout la souplesse de la direction de Metha, pleine d'inventivité, qui fait presque oublier le piano bicolore de Buchbinder : le bon ou la brute.

Mais dans les bis, ce dernier retrouve un grand sens musical. Affranchi de l'orchestre, il se délivre aussi d'une certaine raideur. Sa Chauve-Souris pétille d'humour et de brio ; l'Impromptu de Schubert se déguste comme un gâteau viennois et le Rondo de la Sonate Pathétique achève d'électriser une salle enthousiaste. Un disque surprenant, qui fait passer par tous les états.

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