- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Orphée en devenir à Bobigny

Pour servir le nouveau visage que, à l'intention de , Berlioz donna au célèbre ouvrage de Gluck, Dominique Pitoiset et Stephen Taylor exposent qu'ils ont désiré conserver la distance allégorique qu'impose la mythologie grecque.

En outre, à l'usuelle interrogation que pose Orphée («en quoi l'absence de l'être aimé est-il insupportable ?»), ils en ont ajouté une seconde («en quoi suis-je responsable de son absence ?»).

Pour le premier point, cette distance se réalise efficacement dans la posture et dans la gestuelle des différents «acteurs», dont la prestation est, hélas, amoindrie par le fade et laid décor, digne d'une grande firme suédoise de mobilier en kit. Quant au second, il est plus proclamatif que réalisé : la gradation de sentiments, entre le deuil affligé et la joie de la re-naissance d'Eurydice, n'est pas bien perceptible et n'aide pas de jeunes chanteurs à trouver en eux les potentialités de leur chromatique expressive.

La scénographie est faite d'une tournante à deux faces (son avers est le séjour, avec cuisine américaine, du logis d'Eurydice, tandis que son envers est sa chambre dotée d'une salle d'eau) que deux portes permettent de relier. Pour moitié, elle accueille le chœur (trente chanteurs), quand il n'est pas fractionné en deux, à jardin ou à cour. Si ce dispositif est assez pertinent, il lui manque une énergie dramaturgique qui parcourrait la représentation. Dominique Pitoiset et Stephen Taylor ont trop manipulé cet opéra du bout des doigts et n'ont pas su en rendre palpables les rituels et les enjeux. La direction d'acteurs, atone, qui laisse ces jeunes chanteurs s'arranger avec leurs modestes outils personnels en est l'exemple patent.

Quant à l'équipe vocale, rappelons, d'emblée, qu'il s'agit d'interprètes en cours de formation ; on n'aura garde de les peser à l'aune de leur aînés établis. Dans le rôle-titre (par ailleurs un peu trop grave pour elle), – dont nous avions déjà salué la maturité vocale dans Wuthering Heights à Montpellier l'an dernier – suscite immédiatement l'intérêt tant sa présence scénique est noble et engagée, tant sa nature vocale est généreuse. Toutefois, une émission vocale trop couverte induit une diction perfectible et une palette de couleurs un peu limitée, sans oublier un vibratello incontrôlé, presque inquiétant au regard du jeune âge de cette chanteuse. Aucune des deux autres solistes n'a été vocalement rayonnante ni n'a semblé concernée par ce qui se passait sur le plateau, y ajoutant un maintien scénique relâché.

En se remémorant L'heure espagnole de Ravel donnée, à la fin de mars, à la Maison de la Musique à Nanterre, par ce même Atelier-lyrique de l'Opéra national de Paris, on constate des défauts similaires et préoccupants. On s'étonne d'y entendre des voix qui ne se sont pas développées harmonieusement : la puissance a été privilégiée à la souplesse, tandis qu'un ensemble de gestes vocaux est plaqué sur la voix originelle au point d'en obérer toute trace.

À des tempi cohérents et à un ferme soutien des chanteurs, a ajouté un heureux et avisé sens de la continuité dramatique.

Crédit photographique : (Orphée) ; (Orphée), (Eurydice) & (Amour) © Mirco Magliocca

(Visited 311 times, 1 visits today)