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Pierre-Laurent Aimard en un seul mouvement


Dans ce premier volet d'une série de deux récitals donnés à la Konzerthaus de Vienne et enregistrés en direct, explore une forme d'écriture particulière : la sonate en un seul mouvement. Quoiqu'un peu uniforme, c'est assurément un programme intéressant. Seul défaut : le pianiste se mure dans un jeu personnel dont le public est exclu.

Quelques pièces isolées entrecoupent cette étude de genre, comme La lugubre gondola, les Nuages gris et Unstern ! Sinistre, disastro, trois œuvres de Liszt aux accents particulièrement apocalyptiques. Ces brefs intermèdes constituent les éléments les plus convaincants de la première partie du concert. L'extrême retenue d'Aimard peut passer pour de la souffrance ; son style dépouillé correspond relativement bien à l'esprit de malheur que répandent ces pages de la maturité. Sa gondole a des allures de vaisseau fantôme, ses nuages sont exactement ceux d'une lande désolée et c'est bien un désastre absolu qui secoue Unstern ! Aimard, qui fait lui-même grise mine, peint donc une eschatologie très réaliste.

Les œuvres plus conséquentes, en revanche, sont exécutées sans adéquation entre le jeu et le texte. Aimard est d'une sécheresse rebutante dans Wagner (Sonate en la bémol majeur) et ne parvient pas à s'emparer du sujet de façon romantique. Il se freine, se contient, reste sur la défensive, alors que la partition exigerait un style plus expansif.

La Sonate op. 1 d'Alban Berg souffre d'un martèlement excessif. Pesant jusqu'à la brutalité, Aimard surligne chaque développement avec une insistance lassante, quand il suffirait de faire preuve d'un peu de rondeur – voire de mollesse – dans la narration des traits.

Dans la Sonate n°9 de Scriabine, dite «Messe noire», on le trouve trop neutre et trop détaché pour une partition qui recèle des indications comme «perfide», «caressant» ou «empoisonné». Les notes répétées en triolets de doubles-croches ne produisent pas l'effet de terreur escompté. Le travail de restitution d'Aimard est insuffisant : ne s'engageant pas assez, il donne l'impression de ne jouer que pour lui-même et laisse l'auditeur sur le bas-côté de son interprétation.

Incontestablement, la Sonate en si mineur de Liszt, donnée en seconde partie, produit du changement. À propos de cette œuvre hors norme, si abondamment jouée et commentée, Aimard semble avoir quelque chose de neuf à dire. La version qu'il en propose tisse une habile continuité entre les parties de cette sonate qui se présente d'un seul tenant, mais qui en compte en réalité trois principaux ou douze subalternes. Donnant à chacun des leitmotivs une voix distincte, Aimard crée une familiarité originale autour d'eux : on reconnaît les accents méphistophéliques et l'on s'émeut de retrouver sitôt après la douceur de l'ange. Cette Sonate est une réussite parce qu'elle parvient à éviter les lieux communs tout en restant fidèle au drame qui se joue : le combat de l'homme face à la tentation du Démon.

Crédit photographique : photo © Felix Brœde / DG

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