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Albéric Magnard ou la main heureuse

En publiant à prix doux, sous licence BIS, ce beau petit boîtier contenant l'intégrale des Symphonies de Magnard, Brilliant Classics a la main particulièrement heureuse, car il est très probable que l'interprétation de (le fils du légendaire Kurt Sanderling) soit, aux côtés de celle de Jean-Yves Ossonce (Hyperion CDD22068), la plus satisfaisante dans sa globalité, tant au niveau artistique qu'au niveau de la prise de son.

Le compositeur français (1865-1914) était un être entièrement immergé dans sa vie intérieure. Romantique toutefois empreint d'austérité, ce farouche solitaire, noble et fier, s'intéressait peu à la musique de ses contemporains : son véritable mentor était Beethoven auquel son inspiration ajoutait une sorte de rêverie bien personnelle.

Dès le 30 décembre 1950, en pionnier, le remarquable chef et compositeur britannique Constant Lambert donna la Symphonie n°3 à la BBC ; puis ce fut le grand chef français Jean Fournet qui réalisa pour la Radio néerlandaise à Hilversum, au début des années 60, un superbe enregistrement de la Symphonie n°4. Toutefois, en 1969, il revint à l'immense chef suisse Ernest Ansermet d'accomplir à la fin de sa vie cet acte sublime : le premier enregistrement pionnier commercial, merveilleusement lumineux, de la Symphonie n°3 chez Decca, avec la certitude et le courage sereins d'imposer la musique de Magnard à une époque où une certaine intelligentsia plutôt stérile croyait devoir mépriser tous les contemporains français de Debussy et de Ravel, et décréter que Roussel et Honegger étaient «dépassés», alors qu'en fait cet Âge d'Or de la musique française est encore loin de nous avoir révélé toutes ses fabuleuses richesses.

Il fallut attendre 1990 – plus de vingt années ! – pour que le bouillonnant chef français Michel Plasson achève enfin la première intégrale des symphonies chez EMI (CZS5723642) dans des versions puissantes et vigoureusement construites, sinon lumineuses et poétiques, toutefois desservies par une prise de son plutôt opaque et trop globale. Magnard sortait enfin d'un purgatoire scandaleusement immérité.

Les quatre symphonies de Magnard sont le témoignage de l'évolution de sa pensée musicale jusqu'à la maturité de la dernière, probablement son chef-d'œuvre. Toutes sont peu spectaculaires mais d'une admirable intériorité, d'une probité sincère et foncièrement personnelle.

Ce que nous propose de ces symphonies est tout simplement miraculeux : en des tempi généralement plus détendus que ceux de Jean-Yves Ossonce (et occupant d'ailleurs trois CDs au lieu de deux), il parvient à concilier la vigueur et la puissance de Plasson avec la transparence et la lumineuse poésie d'Ansermet. Précision et beauté chaleureuse sont alliées. Sanderling est le seul à sublimer les merveilleux moments de tendresse qui jalonnent les deux dernières symphonies : il suffit d'écouter, dans la Symphonie n°3, le second groupe thématique du Vif du premier mouvement, le Trio des Danses du deuxième mouvement et la Pastorale du troisième mouvement pour être véritablement envoûté. De même, le Sans lenteur et nuancé du mouvement lent de la Symphonie n°4, bouleversant, atteint des cimes extraordinaires dans cette interprétation.

obtient de l', un travail de qualité superlative : les moindres interventions de solistes à découvert sont impeccables et dignes d'éloges, les groupes instrumentaux d'une parfaite unité offrent au chef une palette sonore dont il use avec une maîtrise lucide et chaleureuse, en coloriste et en poète, mais aussi avec une fermeté rythmique, une éloquence passionnée et un sens de la grandeur qui trouvent leur apogée dans cette merveilleuse et ultime Symphonie n°4.

Mais il convient également de mettre en évidence la qualité exceptionnelle de la prise de son, d'une merveilleuse transparence et d'une ampleur chaleureuse, qui offre à la musique de Magnard toute l'aura nécessaire à sa transfiguration. D'ailleurs, notre gratitude doit également être adressée essentiellement à toute l'équipe de BIS, puis à Brilliant Classics, pour cette édition hors pair, et probablement définitive, des symphonies de Magnard. Peut-on dès lors espérer une intégrale des autres œuvres orchestrales par le même chef, même si celle de Mark Stringer chez Timpani (1C1171) est parfaitement digne du compositeur ? Abondance de merveilles ne saurait nuire !

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