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Don Giovanni et la dolce vita

L'action se situe dans les dernières années de l'Espagne franquiste – nous dit-on… –, à la jonction des années 1950 et 60.

Le Commandeur et Don Ottavio sont supposés être des hauts fonctionnaires du régime – on les aurait plutôt crus sortis tout droit des séries américaines Dallas ou Dynasty –, Anna, Elvira et Zerlina rivalisent de chic et d'élégance dans un univers en apparence aseptisé mais entièrement rongé et corrompu de l'intérieur. Dans un tel contexte, Don Giovanni est censé incarner le courant libertaire de son époque, tel qu'il se serait exprimé dans le cinéma italien, notamment dans la La dolce vita de Fellini. Les références au septième art sont d'ailleurs nombreuses, à commencer par la transformation de Giovanni en un Mastroianni carnassier, et celle de Zerlina en pulpeuse Marylin…

Nul doute que le chef d'œuvre de Mozart se relèvera une nouvelle fois de cette énième relecture, dont le mérite reste finalement de s'attacher non sans intelligence aux rapports si complexes et ambigus entre les différents personnages du drame, finement dessinés et incarnés. Si la captation vidéo ne permet pas vraiment au petit écran de rendre de façon satisfaisante l'astucieux dispositif scénique conçu par Paul Brown, la direction d'acteurs, comme souvent les mises en scènes anglo-saxonnes, montre les mérites d'une véritable tradition théâtrale. Au niveau du décor, un cube central, à géométrie variable, est censé abriter les secrets et les emprisonnements des uns et des autres, et sert de cadre à tous ces chassés-croisés où chacun des huit personnages évolue tant bien que mal en quête de sa justice et de sa vérité. Les huit interprètes réunis sur le plateau jouent à fond leur personnage, contribuant l'un comme l'autre à la réussite d'un spectacle théâtral peut-être contestable, mais en tout cas parfaitement rôdé.

Sur le plan vocal, le plateau est très largement dominé par les voix masculines. Parmi les dames, seule en Elvira parvient réellement à imposer une personnalité vocale marquante et bien définie, et Anna Virovlansky – fort bien chantantes au demeurant – donnant trop souvent l'impression d'être interchangeables. Le choix de la version de Vienne, qui permet pour une fois d'entendre le si rare duo Zerlina-Leporello, contribuerait presque à faire de Zerlina la « prima donna » de l'opéra. Il nous prive en revanche de « Il mio tesoro », auquel aurait très certainement su rendre justice le très beau ténor de Michael Burden. Si et offrent tous deux de belles prestations en Masetto et en Commandeur, les deux triomphateurs de la soirée sont incontestablement en Giovanni, et en Leporello. Le premier, vocalement impeccable, parvient à rendre son personnage à la fois attachant et détestable, sachant rendre compte des multiples ambiguïtés d'un personnage toujours aussi fascinant. Pisaroni, qu'on rêve d'entendre en Don lui aussi, est sans doute doté d'un matériau vocal encore supérieur, qui lui vaudra sans doute une belle place dans la succession des Pinza, Siepi et Cie. La confrontation entre ces deux personnages est de toute évidence le fil conducteur de cette mise en scène parfois déroutante, mais d'une belle efficacité dramatique.

La réussite musicale de cette représentation est largement due à la présence, à la tête de The Orchestra of the Enlightenment, du chef d'orchestre russe . Ce dernier parvient en effet à faire sonner les instruments d'époque de l'ensemble de manière « romantique », inscrivant le chef d'œuvre de Mozart dans cette transition esthétique pour le moins fascinante, a mi-chemin entre le baroque et le classicisme finissants et les modernités à venir. Sans doute est-ce ce point de rencontre entre la restitution musicale et la mise en scène, toutes deux situées dans un troublant entre-deux, qui constitue la réussite de ce Don Giovanni de Glyndebourne, cru 2010.

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