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Maurice Emmanuel dans toute sa splendeur

Quel bonheur de trouver, sous le superbe visuel représentant les Jeux de Plage du peintre André Bertounesque, un CD qui rend enfin justice à la musique orchestrale de Maurice Emmanuel (1862-1938), ce musicologue mais surtout merveilleux compositeur français qui a si bien chanté les paysages et le folklore de France, notamment de la Bourgogne, et à l'instar de son compatriote Guy Ropartz, de la Bretagne. Des photos de lui jeune et âgé montrent un beau visage, élégant et raffiné, d'une grande douceur, qui confirmait d'ailleurs l'extrême gentillesse de l'homme. Mais sous cet aspect physique se dissimulait une âme pleine de verdeur et d'une joie de vivre parfois rude, à l'image de la nature, souvent dévoilée dans sa musique où est également associée une sérénité tendre et pleine de douceur. Tout un monde d'une richesse sonore infinie. Un nom vient très vite à l'esprit, celui d'Albert Roussel avec l'art duquel celui d'Emmanuel présente souvent des analogies.

Un pionnier dans la redécouverte de fut le label français FY qui nous révéla les merveilleuses Sonatines III, IV et VI pour piano dans l'admirable interprétation d'Yvonne Lefébure. Puis, sous les directions de James Lockhart et de Gilles Nopre, Marco Polo / Naxos publia un disque d'orchestre (8223507) qui comprenait déjà les deux symphonies en des exécutions honorables mais provisoires, en attendant mieux, cette fois couplées avec le Poème du Rhône op. 30 (1938) dont Emmanuel n'eut pas le temps d'accomplir l'orchestration, mais que son élève Marguerite Béclard d'Harcourt réalisa avec une grande probité. Avec les deux pages complémentaires présentées ici sur ce disque Timpani, nous disposons ainsi de la quasi-totalité de l'œuvre orchestrale de , hormis la Zingaresca op. 7 curieusement instrumentée pour 2 piccolos, 2 pianos, tympanon et cordes (1902).

Mais c'est finalement à Timpani que nous devons la meilleure appréciation de l'art incomparable de , puisque le label, sans équivalent en France, nous avait déjà gratifié d'un disque de l'intégrale des mélodies (1C1030) et d'un autre consacré à la musique de chambre (1C1167). Aussi peut-on s'attendre à voir un jour au disque Prométhée enchaîné op. 16 (1918) ou Salamine op. 21 (1927), tragédies lyriques d'après Eschyle, ou Amphitryon op. 28 (1936), comédie musicale d'après Plaute ? L'avenir nous le dira !

L'Ouverture pour un conte gai op. 3 (1890), toute œuvre de jeunesse qu'elle est, témoigne déjà de la maîtrise absolue du compositeur. Par sa modernité, elle déconcerta les musiciens de son temps, notamment son maître Léo Delibes qui ne sut l'accepter : il faut bien avouer qu'en bon bourguignon d'origine, le compositeur, par l'intermédiaire d'un argument de Paul Bergon et Eugène Meurant, nous entraîne au pays des vins généreux et puissants, et des cabarets enfumés : « Un radoteur, un bravache, un pleurnichard content successivement la même histoire qui, en passant par les trois bouches, prend des allures diverses. Ils sont interrompus par des rires, voire des protestations d'auditeurs irrespectueux. » On peut comprendre que l'œuvre, qui par sa truculence annonce Roussel et même Milhaud, ait pu choquer le doux et raffiné Delibes !

La Suite française op. 26 (1935) est en fait l'orchestration de la Sonatine V « alla francese » pour piano op. 22 (1925). Des Six Sonatines, elle est la seule à être une suite de danses qui appelait évidemment l'orchestre, à la manière du Tombeau de Couperin de Ravel. Mais l'œuvre d'Emmanuel remonte plutôt à Rameau, et par ses dissonances se rapproche bien plus de Stravinsky et même de Milhaud que de Ravel !

Les deux symphonies de Maurice Emmanuel n'ont en commun que leur tonalité – la majeur – et leur difficulté d'exécution les rendant rares au concert, ce qui est peu dire. La Symphonie n°1 op. 18 (1919), en trois mouvements, est sans surprise marquée par la Guerre 14-18, car elle est l'expression musicale des divers épisodes de la courte vie d'un jeune aviateur tombé au combat, depuis la pure insouciance de l'adolescence jusqu'à la tragédie finale que le compositeur exorcise par une conclusion apaisée toute en douce et sereine lumière.

En quatre mouvements, mais plus dense et concise que la précédente, la Symphonie n°2 « Bretonne » op. 25 (1931) rend hommage à la région de France qu'affectionnait tout particulièrement Maurice Emmanuel ; toutefois cet hommage n'est pas uniquement une simple ode à la nature, car son sujet relatif à la légende de la ville d'Ys (dont Lalo à tiré son superbe opéra) lui donne une connotation tragique. En 17 minutes de richesses musicales incroyablement condensées, Emmanuel parvient à exprimer tour à tour le tumulte menaçant ou les enchantements de la mer, le calme serein de la forêt, ou la fête populaire.

Ce ne sont ni l'Orchestre de Bretagne ni l'Orchestre Philharmonique du Luxembourg, coutumiers de Timpani par leurs nombreux et magnifiques enregistrements, qui interprètent ces pages dont les difficultés techniques ne s'apprivoisent guère en deux ou trois répétitions d'orchestre, de même qu'au mélomane elles ne révèlent toutes leurs beautés potentielles en une seule audition : ici, un nouveau venu au label, l'Orchestre Philharmonique Slovène de Ljubljana, et un nouveau chef, le Français (le bien prénommé !), s'acquittent superbement de leur mission ardue en nous proposant des exécutions admirablement structurées, supplantant aisément la version Marco Polo des deux symphonies, et la splendide prise de son aidant, parfaitement équilibrées dans leurs plans sonores. Il faut dire que cet orchestre a accueilli les plus grands solistes et les plus prestigieux chefs d'orchestre dont fait dorénavant partie , à la carrière internationale particulièrement brillante.

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