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Strasbourg, Philippe Manoury virtuose de la synthèse du son

L'ancienne salle de la Bourse à Strasbourg, aménagée en salle de concert confortable et bien sonnante, accueille traditionnellement les récitals solistes du dimanche matin donnés dans le cadre de Musica. Lors du premier week-end du Festival, c'est l'altiste , jouant un superbe Goffriller de 1730, qui était seul en scène, relié cependant à un important dispositif électronique installé en fond de salle pour la transformation du son en temps réel de Partita I ,une composition d'envergure de qui allait créer l'événement de la matinée.

La référence directe à JS Bach incitait assez naturellement à « préluder » avec une des Partite pour violon seul du Cantor que tous les altistes ont à leur répertoire dans une transcription ad hoc. On se souvient de la confrontation audacieuse autant que pertinente, faite par , de la Chaconne en ré mineur de Bach et de la Sequenza VI de Berio qu'il a gravées côte à côte dans un double album sorti chez Aeon. Pour l'heure, c'est la Partita n°2 – le terme désigne en Allemagne une Suite de danses -, jouée ici dans son intégralité, qu'il mettait en résonance avec Partita I que Manoury considère comme une gigantesque Chaconne.

Après les quatre danses présentées dans une succession habituelle (Allemande, Courante, Sarabande et Gigue) et dans la couleur ambrée de l'alto qui en modifie sensiblement le caractère, nous rappelait, dans l'interprétation magistrale autant que sensible qu'il donne de la Chaconne qui clôt la Partita, que Bach l'écrit pour la mort de sa première épouse, Maria Barbara. Ce « tombeau » est d'ailleurs conçu à partir d'un choral pascal de Luther (Le christ gisait dans les liens de la mort) dont le profil mélodique semble paradoxalement ressurgir dans la partie centrale en majeur.

 

, qui a les honneurs de l'édition 2011 du avec la création de son quatrième opéra La Nuit de Gutenberg et la reprise attendue de deux oeuvres pour grand orchestre (Sound and Fury et Noon), conçoit quant à lui Partitia I pour alto et électronique en neuf sections enchaînées, lesquelles, comme chez Bach, sont issues d'un même matériau de départ, à savoir sept « expressions sonores » entendues dans la phrase initiale. Cette pièce de 2006 est la première d'un cycle consacré aux instruments à cordes et électronique comptant aujourd'hui le quatuor Tensio – crée en 2010 par les Diotima qui le redonnent cette année sur la scène de Musica – et une pièce pour violon à venir. Dans Partita I, un capteur fixé au doigt du soliste permet d'analyser en temps réel les accélérations et pressions de l'archet, affinant toujours davantage le rapport intime et flexible entre le geste instrumental et les réactions de la machine.

Manoury livre là un authentique chef-d'œuvre, spectaculaire autant que jubilatoire, où le son de l'alto toujours préservé évolue dans un maillage savant de textures sonores et une sophistication contrapuntique éblouissante engendrée par la synthèse électronique. Avec une présence rayonnante, Christophe Desjardins déploie une énergie phénoménale, répétant de manière obsessionnelle parfois les figures sonores – trémolos, trille, rebonds – que l'électronique réinjecte à travers les haut-parleurs dans des agrandissements gigantesques ou des filtrages savoureux. L'œuvre s'achève sur le fil de l'émotion avec la résonance d'une quinte « écrasée » – référence lointaine, précise Manoury, au « joueur de vièle » dans le dernier Lied du Voyage d'Hiver de Schubert – à laquelle ce virtuose de la synthèse du son donne une couleur toute personnelle.

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