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Mahler par Gatti : saison III

Avec cette soirée, entamait la fin de son périple mahlérien, accompagné par un public nombreux, signe s'il en fallait que les auditeurs parisiens sont pleins de bonne volonté, et savent retenir leur quinte de toux avec déférence devant un monument qui s'érige.

Le Chant de la Terre, centre du rituel, était précédé par le Concerto de Berg, visiblement moins attendu si l'on en croit les rumeurs du foyer. Qu'importe ! Avec Gatti à la direction et Zimmermann à l'archet, l'oeuvre rencontre des interprètes attentionnés, amoureux, qui rendent la partition passionnante, tour à tour lunaire, révoltée et plaintive. On avouera notre préférence toute personnelle pour le second mouvement, qui voit la citation du choral de Bach aux bois, dont chaque période est ponctuée par des interventions solistes en style tonal élargi, finement brodées par le compositeur et dont Zimmermann s'empare avec délectation. L'humilité et l'intelligence du soliste vis-à-vis du texte sont telles qu'il n'hésite pas à s'effacer, à rentrer dans l'orchestre, pour mieux en surgir le moment venu. Assurément, Zimmermann n'est pas avare de sa gloire, car dans cet intervalle, il se ferait presque voler la vedette par le violon solo, la pétillante et talentueuse ! Mais non, pas de crise d'ego en vue, et c'est l'oeuvre de Berg qui s'en sort grandie, pour notre plus grande joie.

Quant à celle de Mahler, le constat est plus mitigé. L'orchestre n'est pas en cause, loin de là, il se tire de ces pages exigeantes avec brio. Notre réserve s'adresse aux solistes, qui incarnent deux styles de chant aux antipodes l'un de l'autre, dont les qualités étaient d'autant plus audibles que les interventions des chanteurs étaient successives. tout d'abord, en bon Heldentenor wagnérien, rentre dans l'oeuvre comme dans une mêlée : sa voix ample, non dénuée de charme dans le médium, est sourde dans les graves et laide dans les aigus, criés plutôt que chantés et d'une justesse toute relative. On ne s'étonnera donc pas que le troisième lied, « De la jeunesse », qui requiert une grande agilité vocale, soit proprement massacré sous les coups de glotte de ce Siegfried en puissance.

s'en tire indéniablement mieux de son côté ; sa voix ronde est d'une délicatesse et d'une sensualité réjouissantes, et l'auditoire tend l'oreille pour mieux la goûter. Ceci dit, autant ne faisait pas de quartier, autant la contralto se révèle d'un maniérisme excessif, sans doute issu de son amour de la mélodie : chaque note semble le produit d'un effort surhumain, visible dans les intenses contractions musculaires qui précèdent chacune de ses phrases. C'est peu dire qu'on aurait aimé davantage de simplicité dans l'expression.

Pour être enfin tout à fait juste cependant, il faut reconnaître que l'interprétation de dans « L'Adieu » nous a plus que comblé. Ce lied, un défit voire un écueil, est d'une longueur décourageante et d'une intensité inégale. Il faut donc toute l'énergie des interprètes et toute la patience du public pour éviter la catastrophe, la désertion. Il était évident que le public resterait jusqu'à la fin, politesse oblige ; on peut néanmoins ajouter qu'aucune velléité de la sorte ne l'a secoué, tant ces pages ont été rendues avec justesse, jusqu'au « ewig … » final, suivi d'un assez long moment de silence, comme il se doit dans une solennité de ce genre.

Crédits photographiques : © Silvia Lelli

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