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Une version à la pointe sèche du piano de Georges Enesco

De la peu abondante production de pour le piano, le choix proposé ici permet d'apprécier l'évolution du style du plus français des compositeurs roumains. Mais au-delà de ses vertus pédagogiques, on tient là un bel exemple des approches résolument divergentes qu'il est possible de tenir face à une musique complexe faisant la part belle à toute la subjectivité de l'interprète.

Le style du pianiste américain tranche nettement avec une approche ancrée dans des racines Europe centrale très relatives pour Enescu. L'approche reste uniment moderniste : les tempos choisis laissent peu le temps à la rêverie, en phase avec une dynamique relançant sans cesse le discours. Les contrastes sont parfois violents, le staccato ravageur, et la direction donnée au texte musical imperturbable. La pédale n'est utilisée qu'avec beaucoup de parcimonie, donnant au discours une impression assez sèche mais tout en gardant une vie déterminée par une énergie permanente.

Le piano Yamaha et la prise de son de l'enregistrement y sont sans doute pour quelque chose.  On se sent très proche des cordes, le choc des marteaux est très présent, le mécanisme des pédales se fait entendre par moments. Ainsi, le style déjà peu enveloppé et percussif ne s'en trouve que renforcé. Les graves et le bas médium de l'instrument sonnent parfois comme des pizzicatos de contrebasse. Les suraigus très présents renvoient quant à eux vers des percussions métalliques. Mais rien n'est franchement désagréable à l'oreille.

On entendra donc un modernisme provocateur, très staccato et rapide dans le second mouvement de la sonate op.24 n°1, un jeu de timbres plus qu'une atmosphère pour le finale, avec son si bémol insistant lorgnant vers le Gibet ravélien. La Suite n°2 joue la rapidité et les limites du détaché se fait entendre par moments : à 0'19 et 0'42 de la Toccata, de curieux effets de télescopages brutaux des phrasés font croire à un trou dans l'enregistrement. L'aspect lyrique de la Pavane s'éloigne, alors que la Bourrée profite allègrement d'une certaine frénésie digitale.

La Sonate de Sharlat, commandée et dédiée au pianiste, trouve en un engagement de première main, même si l'on est interpellé par l'aspect assez classique de l'écriture. Une surprise interviendra dans la dernière seconde de la partition, inattendue mais bienvenue.

Ce disque apporte donc une pierre supplémentaire et complémentaire de grande qualité mais aux forts partis pris au peu fréquenté répertoire pianistique d'Enescu.

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