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A Rennes, la version originelle de Jenufa

Jenufa est désormais solidement installée au répertoire des maisons d'opéra dans l'édition définitive de 1918, mais l'Opéra de Rennes a choisi de faire découvrir au public français la version originelle de l'ouvrage donnée au Théâtre de Brno quatorze ans plus tôt sous le titre de Jeji Pastorkyyna (traduisible en français par « sa fille adoptive »).

C'est le musicologue anglais Mark Audus qui a reconstitué cette partition, recréée à Brno en 2008 dans le cadre de la Biennale Janacek. Il s'agit d'une version plus intimiste avec une formation réduite à une trentaine d'instrumentistes, qui ne rend que plus évidents les exceptionnels dons d'orchestration du compositeur tchèque.

L'Opéra de Rennes a eu la main heureuse en faisant appel au directeur musical du Théâtre de Brno, . Dès l'ouverture, abordée avec une allègre légèreté, le chef affirme une parfaite maîtrise de la partition, une impeccable précision rythmique et un sens aigu de la dynamique. Il dirige un Orchestre de Bretagne somptueux de couleurs sonores et des chœurs enthousiastes. Pierre Constant sait animer un ouvrage sans artifices, et dirige les protagonistes avec fluidité et naturel. Il nous livre une lecture sobre, d'une lisibilité parfaite, agrémentée de surprises, telle la chute du Christ en croix à la fin du deuxième acte, et d'images poétiques comme lorsqu'à la fin de l'ouvrage Laca pose délicatement sa main sur la joue mutilée de Jenufa.

La distribution est dominée par , soliste permanente de l'Opéra de Prague, qui chantait Karolka au Châtelet en 2003 aux côtés de . Subtile musicienne, elle nous offre une bien jolie Jenufa avec un timbre prenant, de sublimes nuances et une grande implication scénique. En dépit de quelques reflets métalliques dans l'aigu, elle s'impose d'ores et déjà parmi les grandes titulaires du rôle titre. semble en démonstration dans le rôle de la sacristine, dont elle dresse un portrait trop univoque. La voix est puissante mais le personnage désintéresse rapidement. La trémulante Buryja de est au moins plus intéressante scéniquement.

La confrontation des ténors tourne à l'avantage de l'anglais Michael Bracegirdle, Laca dévoré par ses rancoeurs mais qui finira par trouver la lumière. Passés quelques signes d'engorgement en début de représentation, il se libère et impose un portrait convaincant au moyen d'un instrument vaillant. Richard Samek, en revanche, ne possède pas la luminosité de timbre attendue pour Steva, et se trouve vocalement éprouvé au point d'en devenir éprouvant. Des seconds rôles, tous français, nous retiendrons le solide contremaître de Patrice Berger et le virevoltant Jano de Valérie Gabail. Tous contribuent à une redécouverte passionnante.

Crédit photographique : (Jenufa), (Kostelnicka) © Laurent Guizart

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