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August De Boeck : la prospection continue

Amateurs de belle musique néo-romantique, précipitez-vous sur ce nouvel enregistrement « In Flanders' Fields vol. 71 » du label Phaedra d'œuvres du compositeur flamand (1865-1937), car il est d'une qualité nettement au-dessus de la moyenne et nous change radicalement des partitions constamment rabâchées… Nous avons par ailleurs déjà dit tout le bien de cette personnalité éminemment sympathique qu'était , lors d'une superbe publication Etcetera dans la série « Flemish Connection » sous l'égide de la radio classique flamande Klara. Or la publication Phaedra nous semble même plus originale et réussie encore, tout en étant son idéal et digne complément.

La structure du programme Phaedra offre certaines similitudes à celle du disque Etcetera : une courte page d'introduction, un concerto et une suite d'orchestre tirée d'un opéra, également élaborée par le compositeur et chef d'orchestre Frits Celis. En l'occurrence, la brève partition de 5 minutes est le Prélude à l'Acte I du premier opéra de De Boeck, Théroigne de Méricourt (1900), dont l'action se situe autour de la Révolution Française. Contrairement à ce que l'on aurait pu s'attendre, le Prélude est une page très mélodieuse, paisible et méditative : il semble qu'à partir de ce début de XXe siècle, De Boeck se soit définitivement affranchi de l'esthétique du Groupe des Cinq – surtout de Borodine – dont il avait fortement subi l'influence, notamment dans la Rhapsodie Dahoméenne (1893) et surtout la belle Symphonie en sol (1896).

Si aujourd'hui nous pouvons entendre le Concerto pour piano et orchestre d', c'est grâce au pianiste de ce disque, , qui en a rédigé la version soliste pour piano « normal ». En voici l'explication : dans les années 20, un ingénieur wallon, Pierre Hans (1886-1960) inventa un piano à queue à deux claviers pour lequel plusieurs compositeurs, dont August De Boeck, allaient rapidement écrire divers concertos. Mais la Seconde Guerre Mondiale et le coût de fabrication exorbitant du piano Hans allaient stopper définitivement sa production et la diffusion non seulement de l'instrument, mais aussi des partitions qui lui étaient associées. En 1981, le compositeur et chef d'orchestre Frits Celis, décidément plein d'affection pour la musique d'August De Boeck, demanda au pianiste de retravailler la partie soliste du concerto pour clavier unique normal, par la même occasion sauvant de l'oubli cette œuvre originale qui méritait vraiment de survivre. Le Concerto pour piano, dans sa version pour piano ordinaire, fut créé en public à Anvers le 6 septembre 1985 sous la baguette du fidèle Frits Celis.

En 1920, August De Boeck acheva son cinquième et dernier opéra La Route d'Émeraude, sur un livret de Max Hautier (1890-1967), lui-même basé sur le roman éponyme d'Eugène Demolder (1862-1919). Vocation, Amour, Souffrance, Rédemption, sont respectivement les titres associés à chacun des quatre actes de l'opéra. Créé en français en 1921 au Théâtre Royal de Gand, l'œuvre fut ensuite donnée en 1933 à l'Opéra Flamand d'Anvers dans sa version néerlandaise sous le nom de Francesca. L'action se situe en Hollande au milieu du XVIIe siècle : elle décrit les vicissitudes et les amours contrariées de Kobus Barent, fils de meunier, qui rêve de devenir artiste peintre.

Il est remarquable de constater que c'est cette fois le producteur même de Phaedra, Luc Famaey, qui ait incité Frits Celis à réaliser cette suite d'orchestre tirée de l'opéra Francesca, sauvant ainsi de l'oubli trois quarts d'heure de musique superbe que l'on pourrait situer à mi-chemin entre Wagner et Delius : musique d'une grande émotion et d'une profonde humanité, pleine de subtilité et de raffinement. Le toujours fidèle Frits Celis renouvelle l'exploit déjà accompli avec la suite symphonique Le petit Roi du Rhin tirée de l'opéra Les Nains du Rhin (1906), et cela avec le même bonheur (Etcetera « Flemish Connection VII » KTC4024). À l'exemple de Max Hautier, il a judicieusement donné des titres aux quatre parties de la suite orchestrale Francesca : Vocation, Passion, Désespoir, Purification.

Les interprétations de et de l'Orchestre Philharmonique Janáček d'Ostrava sous la baguette d' sont absolument exemplaires et au-dessus de tout éloge, subtiles et frémissantes, ce qui, de la part de Jozef de Beenhouwer, rompu à cette musique, ne nous étonne guère, pas plus d'ailleurs que celles d' et de son orchestre qui nous avaient déjà gratifiés auparavant de versions superlatives d'œuvres de Jef van Hoof, toujours chez Phaedra (92067).

Une magnifique réussite, sortant vraiment des sentiers battus, et qui nous change assurément des multiples petits musiciens baroques qui encombrent nos catalogues…

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