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Austerlitz de Jérôme Combier à l’Opéra de Lille

En intitulant son spectacle « pièce musicale et théâtrale », laisse planer l'ambiguïté sur l'identité du genre d'Austerlitz, créé au Festival d'Aix en Provence en juillet 2011 et redonné à l'Opéra de Lille le week-end dernier.

Pour sa seconde collaboration avec le vidéaste Pierre Nouvel, Combier s'empare du roman de W.G.Sebald dans sa traduction française dont il réduit le texte et le confie à un comédien qui tiendra la scène durant pratiquement tout le spectacle. La trame littéraire d'Austerlitz est un récit étrange autant que bouleversant, un voyage dans le temps et dans la mémoire où nous entraine le narrateur dont la voix tend à se confondre avec celle de Jacques Austerlitz, professeur d'histoire de l'architecture rencontré par hasard dans la salle des pas perdus de la gare d'Anvers : à travers les méandres du souvenir et de sensations retrouvées, cette quête introspective et douloureuse ramène le protagoniste amnésique sur les lieux de son enfance où il fut sauvé de la déportation qui avait conduit sa mère au camp de Terezín.

« Il n'était pas question de mettre en musique les mots de Sebald », précise le compositeur mais plutôt d'approcher le mystère d'un livre et d'une écriture. Si la voix chantée n'est pas directement sollicitée, s'efforce de différencier les timbres et les registres, entre voix parlée – celle du comédien flamand Johan Leysen – et parties enregistrées; pour exemple, ces très belles interventions off de « la voix allemande » – en l'occurrence Miriam Schulte – qui joue en surimpression/contrepoint avec le texte français, ouvrant un autre espace par rapport à la ligne de narration dont le lent cheminement ne va pas sans quelque pesanteur.

La musique provient du fond de la scène où les six instrumentistes – irréprochable – interviennent sans chef, dans un espace très sombre, donnant à entendre une musique qui respire l'ombre et vient se glisser dans les interstices du récit. On y retrouve l'univers sonore raréfié de Combier, traversé de souffles et de bruissements: un art du peu dont les contours et nervures du début s'effacent à mesure, réitérant à l'envi des morphologies sonores en glissement plaintif qui flottent dans un temps suspendu et énigmatique.

Côté décors, la belle scénographie de Pierre Nouvel – photographies et vidéo – relayée par les lumières de Bertrand Couderc est d'autant plus impressionnante qu'il en diffère la venue. Il s'inspire des photographies et documents qui parsèment le livre de Sebald, indications de lieux (Anvers, Londres, Prague, etc.) et images troublantes qui ont d'ailleurs fait l'objet d'une enquête sur le terrain. Ces perspectives en 3D et en noir et blanc sont légèrement sonorisées, via les haut-parleurs, par les captations « naturelles » faites par Combier lors de son voyage de reconnaissance sur les lieux de l'histoire; monopolisant subitement tout l'espace qu'elles transfigurent, ces projections semblent grossir, tel l'effet du zoom, les détails du récit, taraudant l'imaginaire du spectateur constamment ballotté entre onirisme et réalité.

Crédit photographique : © Pascal Victor / Artcomart

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