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L’espace/fiction de Neuwirth

La Salle des concerts de la Cité de la Musique était « préparée » (quatre dispositifs scéniques encadrant le public) comme on le dit du piano de John Cage, pour faire sonner cet espace modulable tel que l'a imaginé dans Construction in Space. Tête d'affiche du Festival d'Automne, dont c'était le dernier concert de la saison, la compositrice autrichienne présentait ce soir une pièce de grande envergure, sorte d'espace/fiction conçu en 2000 pour les 75 ans de Pierre Boulez (présent dans la salle) et qui allait s'éployer dans la deuxième partie du concert.

Pour l'heure, et avec les forces vives de l' dirigé ce soir par , nous entendions Amok Koma pour neuf instruments et électronique du regretté ; une œuvre au geste puissant et à la mécanique sans faille dans laquelle les timbres des instruments fusionnent pour créer cette couleur si singulière. Dans un rapport quasi physique au matériau, Romitelli met à l'œuvre le processus de répétition/corrosion des sonorités instrumentales mixées avec l'électronique, dans des opérations de filtrage, distorsion ou subversion de la matière sonore: une nécessité chez lui d'exprimer « une violence cachée » par un impact rythmique fort et une tension portée jusqu'à l'éclatement mais dans un espace-temps ici compressé et rigoureusement contrôlé que suggère peut-être le titre/palindrome, Amok Koma.

dirigeait ensuite une de ses dernières partitions invitant sur le devant de la scène le baryton au côté d'un ensemble instrumental de 22 musiciens. Comme She-cholat ahavani pour choeur a capella (qui fait l'objet d'une récente sortie discographique), Songs from Solomon's Garden tire sa matière littéraire du Cantique des Cantiques, chanté ici en hébreu, que Pintscher considère comme « un condensé brut et intense d'états émotionnels ». Il choisit un poème d'amour délectable – chant de louange de la Fiancée et du Fiancé – dont la voix souple et séduisante de communique toute la saveur. L'écriture instrumentale, d'un raffinement extrême, agit comme le miroir grossissant des mots hébreux dont elle est la translation sonore et émotive. Sous la conduite très avisée du compositeur, cet étonnant mouvement d'aller-retour du flux poétique crée une sorte de nébuleuse sonore très extatique et d'une grande beauté, d'où émergent parfois des timbres solistes – celui, subtil, du hautbois de Philippe Grauvogel.

Construction in space d' s'inspire du récit de science fiction, The long Rain, de Ray Bradbury où il est question d'une pluie froide et sans trêve sur Venus, menaçant de folie quatre astronautes en quête de Coupoles solaires. Dans ce projet colossal et magistralement réglé – à la hauteur des ambitions d'un Stockhausen – la compositrice autrichienne dit avoir voulu exprimer « une terreur acoustique ». Aux quatre dispositifs instrumentaux spatialisés s'ajoutent quatre solistes – Emmanuelle Ophèle, Vincent David, Gérard Buquet et Alain Billard merveilleusement réactifs – localisés aux quatre coins du parterre, « comme dans un ring de boxe », précise la compositrice; ces instruments à vent sont choisis dans l'extrême grave de leur registre – flûte basse, saxophones dont le baryton, tuba, clarinette basse et contrebasse, – et sont traités par l'électronique en temps réel: un moyen pour  Neuwirth de créer des espaces artificiels où circulent des vibrations étranges et de jouer sur l'ambiguité des sources dans des moments d'écoute privilégiés. Placé au centre de « l'édifice », , magistral, est aux commandes de cette grosse machine qui embrase l'espace par salves éruptives interrompues par des plages « silencieuses », le bruit blanc de l'électronique maintenant l'écoute toujours en alerte. Comme pour les sculptures de Naum Gabo qu'évoque Neuwirth en tant qu'autre source d'inspiration, c'est dans l'appréhension de l'espace total au sein duquel interfèrent les structures que s'incarne le projet sonore : celui d', visionnaire et inouï, se mesurait ce soir à l'aune de son imaginaire débordant.

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