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Wolfgang Rihm à l’honneur à la Cité de la Musique pour la Biennale de quatuors à cordes

Conviant quelques vingt et un quatuors, des plus jeunes formations (Tetraktys) aux phalanges mythiques (Tokyo, Isaye, Arditti, Kronos…), la est une manifestation unique qui fait converger à la Cité de la Musique un public venu nombreux et du monde entier. Après Carter (2006), Dusapin (2008) et Schubert (2010), l'édition 2012 fête les 60 ans du compositeur allemand en programmant l'intégrale de son oeuvre pour quatuor. Douze sont recensés dans son catalogue, le treizième sera créé par les Arditti au cours de la manifestation. Gravitent autour de ce corpus impressionnant, sept pièces à titre (Tristesse d'une étoile, Fetzen 1 et 2…), parfois très courtes, insérées ça et là dans un ensemble qui fait également la part belle aux quatuors de Haydn et de Beethoven.

C'est le , dans l'amphithéâtre bondé du Musée, qui donnait le coup d'envoi d'une manifestation qui court sur neuf jours. Formé en 2001 par quatre musiciens issus des CNSM de Paris et de Lyon, cette formation relativement jeune se lançait dans un programme plutôt ambitieux incluant l'un des derniers quatuors de Beethoven.

Le concert débutait avec l'avant dernier quatuor de Haydn que les quatre partenaires abordent avec l'élan et la verve rythmique que dispense l'écriture d'un maître au faîte de son art. Si l'articulation ciselée de la phrase et l'énergie des basses impulsée par le violoncelle de confèrent une belle allure à cette musique rayonnante, les problèmes d'intonation et de fusion des timbres des deux violons perturbent l'équilibre de l'ensemble. Les deux instrumentistes permutent dans Quartettsatz (Quatuor n°9) de Wolfgang Rhim, une pièce d'un seul tenant jouée avec une concentration exemplaire. L'œuvre inaugure une troisième manière dans l'évolution de l'écriture de Rihm. Les techniques de jeu y sont plus traditionnelles et le discours davantage continu même si les effets percussifs sur les cordes et les blocs d'accords entretiennent un propos dense et musclé, maintenant la tension de l'écoute durant les 23 minutes d'une trajectoire étonnante autant qu'insaisissable. Le concert se terminait avec ce monument que constitue le quatuor n°14 du dernier Beethoven. Dans un cheminement de pensée aussi libre que visionnaire, la forme est envisagée en sept mouvements enchaînés traversés d'autant d'affects et de paysages intérieurs lançant un véritable défi aux interprètes. Les Thymos le relèvent vaillamment sinon idéalement; l'interprétation souvent tendue accuse les contrastes au détriment d'une recherche de couleurs dans les textures et de profondeur dans les mouvements introspectifs.

Toujours à l'Amphithéâtre du Musée, dans une acoustique très propice à l'intimité du quatuor, le débutait la seconde journée de la Biennale en s'imposant dans un très beau programme. Crée en 1994, cette formation tchèque n'est pas récente mais vient de s'illustrer en gagnant le 1er Prix du Concours de Bordeaux 2010. Le Quatuor n°3 op.19 de Zemlinsky en quatre mouvements, écrit en 1926, révèle quatre individualités de haut niveau abordant cette pièce pleine de surprises – les effets sonores du second mouvement par exemple – avec une intelligence du texte  et une aisance virtuose. La Burleske finale aux accents du terroir fait jaillir des couleurs chaleureuses et une communauté d'élan très convaincante. On retrouve dans le Quatuor n°10 de , que les musiciens interprétaient ensuite, la puissance du geste compositionnel qui prend ici une dimension presque théâtrale avec les interventions vocales des quatre protagonistes au terme d'une introduction très percussive et pleine de rebondissements sonores. La trajectoire formelle toujours labyrinthique est ici jalonnée par des titres suggérant une sorte de programme sous-jacent (Battaglia/Follia); elle ménage des « cadences » solistes sur un rythme parfois très pulsé et obsessionnel à l'excès. Un long processus porte les sonorités vers l'aigu du registre pour terminer par une coda séraphique très saisissante. Toujours réactif et précis, le assume les exigences d'une telle écriture en maîtrisant parfaitement la situation.

Ils terminaient par le dernier quatuor de l'opus 18 de Beethoven miné, dans sa conception encore très classique, par « la malinconia », une parenthèse introspective annonçant « les horizons esthétiques vertigineux » des derniers quatuors du maître de Bonn. Les Zemlinsky confèrent à l'œuvre une justesse de ton et un superbe élan qui s'exerce avec bonheur dans les entrelacs rythmiques d'un scherzo endiablé.

Au vu de la programmation de cette biennale, le « show » du , avec jeux de lumière et amplification sonore systématique, semblait un rien décalé : veste de cuir et tee-shirt rouge, David Harrington, premier violon, soigne son look et même sa voix, au micro, lorsqu'il annonce les œuvres du programme, toutes écrites ou arrangées pour son quatuor. Rappelons cependant que le  est le créateur du Quatuor à cordes n°7 de qu'il donnait en seconde partie.

Aheym du new yorkais Bryce Dessner qui débutait la soirée relève de la musique répétitive ; l'écriture engage des processus de déphasage toujours séduisants qui génèrent à mesure un mouvement énergétique que le compositeur interrompt brutalement dans une fin spectaculaire. Death to Komische de la canadienne Nicole Lizée frisait la performance et le mauvais goût. Au sein du quatuor circulent deux instruments électroniques « archaïques », le stylophone et l'omnichord que les instrumentistes manipulent en relai dans un grand mélange hasardeux charriant beaucoup de banalités sonores et d'effets éculés. Le mix improbable des cordes et de la boite à rythmes relève de l'humour provocateur. Tak-Sîm pour quatuor à cordes et électronique en temps réel est une commande de l' au compositeur franco-iranien Alireza Farhang. D'une durée de 20 minutes, l'œuvre étire une matière entièrement bruitée traversée de courants énergétiques : une manière de « grimer » un quatuor à cordes en instrument iranien, plus précisément le sêtar de Ahmad Ebâdi confie le compositeur. Si Flow de l'états-unienne Laurie Anderson fait, en 4 minutes, l'éloge de l'accord parfait dans un halo de réverbération très sensuelle, la création française de Steve Reich WTC 9/11, relatant les événements du 11 septembre 2001 que le compositeur dit avoir vécu de très près, déçoit : Reich met à l'œuvre ses techniques de sampler (des échantillons de voix pré-enregistrées et réinjectées à travers les haut-parleurs en synchronisme avec les parties instrumentales) certes toujours séduisantes, comme il l'a fait dans The Cave mais sans l'inventivité qui gorge d'énergie cet « oratorio multimédia ». Ecrit pour les Kronos qui aiment se mettre en scène, le quatuor n°7, Veränderungen (Transformations) de Rihm sonne au contraire avec beaucoup d'originalité et se range parmi les belles réussites du compositeur. Dans le format habituel de 22 minutes sans coupure, Rihm introduit au sein du quatuor des wood-block que les instrumentistes, à tour de rôle,  frappent au terme d'une tension maximale entretenue dans l'écriture. Référence également au son-bruit, la percussion entre en résonance avec les sonorités des cordes soumises à différentes techniques de jeu non traditionnelles. Amplifiée comme le reste du concert, la pièce prend des dimensions assez spectaculaires, telle cette dernière séquence très sonore sollicitant le jeu du violoncelliste jusqu'à ses limites énergétiques avant le coup final du wood-block.

Réglé au quart de tour, le spectacle incluait encore trois bis avec tango, java et accordéon obligé, dans un cross-over très tendance et un rien provocateur.

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