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Héroïnes belcantistes avec June Anderson

Ses dernières prises de rôle (Eugène Onéguine, Capriccio, Daphné, The Bassarids de Henze, Les Dialogues de carmélites, Salomé, bientôt Manon et Le Chevalier à la rose) n'ont pas empêché de rester fidèle au répertoire qui l'a révélée au monde lyrique il y a plus d'une trentaine d'années, le bel canto italien.

Dans ce domaine, sa maîtrise vocale, son intelligence stylistique et sa palette expressive restent sans égale, et on peine à voir, parmi les jeunes chanteuses actuellement en activité, qui pourrait lui faire de l'ombre : certes pas Netrebko, à la technique incertaine, encore moins Ciofi ou Damrau, dont l'organe reste encore trop menu pour les grands rôles de colorature dramatique, pour ne pas parler de Dessay, actrice géniale mais dont l'instrument a toujours été pauvre en couleurs et en harmoniques.

Car si la voix de s'est considérablement amplifiée et étoffée dans le médium ces dernières années, ce qui explique les changements récents de répertoire, elle a gardé toute son agilité légendaire, permettant à la diva américaine de délivrer un « Casta diva » d'anthologie, véritable leçon de chant dans l'art du legato, des ornements et des appogiatures. L'air de Mathilde de Guillaume Tell, donné en début de programme, fait valoir quant à lui des phrasés lumineux, de toute beauté dans leur simplicité parfaitement assumée. Dans la grande scène de Marguerite au troisième acte de Faust, se distingue encore plus par le sens et l'élégance qu'elle parvient accorder aux mots – malgré quelques voyelles légèrement déformées… — qu'au supposé brio de l'air des bijoux, duquel elle retirerait presque tout aspect ostentatoire. Et pourtant les vocalises perlées sont bien là, de même que les aigus triomphants et percutants, dépourvus de toute dureté.

En deuxième partie de programme, la longue scène de Desdémone, d'un pathétisme déchirant, ferait presque croire qu'Anderson est devenue mezzo, tant elle maîtrise avec aisance la tessiture relativement grave de ce personnage tourmenté entre tous. Quant à la grande scène finale d'Imogène au dernier acte du Pirate de Bellini, la fougue de la musicienne, l'autorité de l'interprète, le contrôle absolu de la chanteuse sur son instrument de grand Falcon dramatique, laissent l'auditeur pantois devant une prestation d'un tel engagement dramatique et d'une telle tenue vocale et musicale. Depuis Caballé, a-t-on fait mieux dans un tel répertoire ?

Etrange sensation en effet que celle offerte par ce concert, au cours duquel une interprète que l'on croyait, en dépit de son actualité encore chargée, appartenir au passé, revient fixer selon des critères presque révolus une barre d'exigence vocale que l'on avait plutôt vu fluctuer ces dernières années.

Aux côtés de June Anderson l', conduit avec souplesse et précision par son chef titulaire , a fait plutôt belle figure, même s'il paraît assez évident que les couleurs chatoyantes et les rythmes audacieux des pièces orchestrales de Gounod et de Berlioz conviennent davantage à cette phalange que les accords et les harmonies plutôt pauvres de l'ouverture de Norma, délivrée sans subtilité. Mais dans les pièces vocales, le plaisir des instrumentistes à accompagner la cantatrice était manifeste, contribuant à la réussite d'un concert d'exception dont les bénéfices ont été versés intégralement au fonds de dotation ColineOpéra. Une soirée généreuse, donc, et dans tous les sens du terme.

Crédits photographiques : June Anderson © DR

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