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A Vevey, le charme vocal de Rosa Elvira Sierra

Difficile pour un chanteur d'apprendre l'opéra dans l'intimité de son appartement. Il lui faut le contact avec les autres protagonistes, l'orchestre, voir le public.

Tous les chanteurs ont fait leurs classes dans de petits théâtres, dans des troupes de banlieues qui leur permettent d'aborder tous les répertoires. Ainsi en est-il de l'Opéra de Bienne-Soleure, une troupe créée dans une agglomération de quelque cinquante mille habitants qui réussit la gageure de présenter une saison d'opéras avec son orchestre, son chœur, ses ateliers de costumes et de décors, et quelques chanteurs qui s'accrochent à leur passion du chant pour apprendre un métier qui leur ouvrira peut-être les portes de théâtres plus importants. Bien entendu, chaque représentation est un baptême du feu qui voit ses moments de grâce alterner avec d'inévitables accrocs.

En présentant certaines de ses productions dans d'autres théâtres, l'Opéra de Bienne-Soleure outre qu'affronter des publics variés, favorise la popularisation de cet art pour un public peu coutumier des grandes maisons lyriques. Ainsi de sa saison de cinq œuvres lyriques, l'Opéra de Bienne-Soleure présente « I Puritani » de dans le petit théâtre de Vevey. Une production qui ne peut se comparer avec celle de Genève en janvier 2011 ou de Toulon en avril 2009. Nous sommes dans des registres bien plus modestes. Tant au point de vue théâtral que musical.

La jeunesse, l'inexpérience théâtrale des chanteurs s'accommode mal de la mise en scène de Georg Rootering. Comment ne peut-il pas prendre la mesure des difficultés de ces « jeunes » interprètes ont à se mouvoir sur scène si l'argumentaire profond du livret semble ne pas avoir été la préoccupation majeure de sa mise en scène ? Pourquoi Rootering ne s'est-il pas borné à simplement raconter l'intrigue ? Pourquoi ne s'est-il attaché à diriger ses jeunes acteurs de manière simple et naturelle ? Ils auraient ainsi pu rencontrer leurs personnages tel que le compositeur et son librettiste les ont voulus. Difficile donc d'adhérer à la conception scénique de Georg Rootering. Non tant dans l'idée (pas accomplie) qu'il tente de développer, mais principalement dans l'indigence qu'il démontre dans sa direction d'acteurs. En ne tenant pas compte du matériel humain qu'il possède, Georg Rootering applique son idée comme un prêt-à-porter. Les intentions sont alors faussées. Jamais on ne croit vraiment aux enjeux de cette intrigue. Ainsi en est-il des duos d'amour entre Elvira et Arturo, de celui de la fuite d'Enrichetta et d'Arturo, sans parler des attitudes caricaturales des chœurs.

En transposant cet épisode de la guerre entre les Puritains et les Stuart dans le milieu américain des Quakers, Goerg Rootering s'embourbe dans une suite de démonstrations de prêches sans intérêt. Presque tous les airs des solistes sont chantés derrière un pupitre de conférence où trône, telle une relique, un Nouveau Testament qu'on brandit à chaque occasion sans qu'on en décèle réellement la justification. Dès lors, plaçant le chœur sur des chaises qu'on amène pour les enlever quelques instants plus tard pour les ramener ensuite, le « prédicateur » du moment raconte face au public son discours, simulacre de prêche. Gestes stéréotypés, attitudes conventionnelles, ce ne sont pas quelques intempestifs scène d'arrêts sur image qui permettront d'éclairer le spectateur sur les tenants et les aboutissants du drame de Bellini.

En outre, les costumes desservent les chanteurs. Avec sa robe cloche et les couettes de sa coiffure ramenées en chignon sur ses oreilles, Elvira ressemble plus à la Minnie de Walt Disney que la fille d'un noble anglais ! Quant aux redingotes et casquettes de certains membres du chœur, elles conviennent certainement mieux à des chauffeurs de limousines qu'à des partisans guerriers. Sans parler des dentelles et des robes de soubrettes mal ajustées de certaines femmes du chœur qui en font de misérables caricatures de femmes de cour.

C'est du côté musical que se trouvent les plus grandes satisfactions. D'abord avec la conduite généreuse et efficace du chef face à un pas toujours attentif. Ne manquant pas de sensibilité, le chef d'orchestre soutient avec talent les chanteurs du plateau. Une direction musicale sensible, totalement portée vers l'écoute des voix de la scène.

Si la distribution s'avère parfois inégale, elle le doit plus à l'inexpérience des solistes qu'au désir de briller individuellement. Possédant un superbe potentiel vocal, la soprano mexicaine (Elvira) domine le plateau vocal. Voix charmante, agréablement colorée, musicalité, agilité des vocalises, justesse, est éblouissante de candeur. Peut-être aurait-on aimé qu'elle s'ose un peu plus. Avec la domination sans faille de son instrument, elle aurait pu s'offrir plus de folie, plus de laisser-aller. A trop soigner son chant, elle perd de la vérité du personnage. Trop sage dans son expressivité, elle tend alors à présenter une Elvira résignée des malheurs qui s'abattent sur elle. Dès lors, sa scène de la folie du dernier acte manque d'intensité.

A ses côtés, la plus grande expérience de la scène de (Sir Riccardo Forth) le met rapidement dans son rôle. Bien campé dans son instrument, il impressionne par sa puissance et son aisance vocale. Après des débuts quelque peu contractés, la basse Yongfan Chen-Hauser (Sir Georges Walton) retrouve un phrasé et une ligne de chant tout à fait correctes.

Avec ses notes hors du registre, on sait combien la partition du ténor est difficile àremplir. Si les aigus n'ont pas manqué à Angelo Ferrari (Lord Arturo Talbot), ils se sont malheureusement révélés d'une facture acide. Quand bien même il dispose d'une bonne ligne de chant, sa voix manque encore de couleurs, d'harmoniques et de vibrato pour donner pleinement la mesure du personnage. Théâtralement emprunté, statique, le geste court et stéréotypé, il peine à convaincre de son amour pour Elvira.

L'œuvre ayant été tronquée de quelques airs, il est dès lors pas très aisé de se faire une opinion sur la vocalité réelle de Martina Gegenleithner (Enrichetta). Dans quelques instants de sa présence sur scène, elle est cependant apparue tendue avec une voix manquant de puissance.

L'exiguïté de la scène du théâtre de Vevey reste certes un obstacle à l'expression chorale d'ensemble. A l'étroit, le Chœur du Théâtre Bienne-Soleure n'échappe pas à l'immédiateté perceptible de la moindre hésitation. Ainsi, dès le premier « All' erta ! All' erta ! », on mesure combien cet ensemble manque encore de la capacité à mesurer son chant. A le rendre plus musical, moins porté vers la seule puissance.

Reste que, malgré ces inévitables réserves, ce spectacle a été très bien accueilli par le public veveysan, réservant une ovation très méritée à tous les protagonistes musicaux de cette soirée, particulièrement à la soprano , valeureuse et charmante Elvira.

Crédit photographique : Rosa Elvira Sierra (Elvira) ; Yongfan Chen-Hauser (Sir Georges Walton), Rosa Elvira Sierra (Elvira) © Edouard Rieben

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